Inauguration...
Aux Morts des deux Grandes Guerres
Belle manifestation au Cimetière Saint-Lazare.
« Aux morts des deux Grandes Guerres ! » c’est l’épitaphe que pour son monument érigé dans le cimetière Saint Lazare, a choisie le marquis de Chaumont-Quitryn auteur et donateur, président du comité du Cher du Souvenir Français. Le vaillant officier, qui a fait la campagne de France 1870-71. Pour reprendre du service dès le début du grand conflit mondial, a tenu dans un même hommage à réunir les soldats malheureux mais glorieux de l’année terrible, aux poilus plus terriblement éprouvés encore, mais finalement triomphant au 11 novembre 1918.
On sait l’homme de cœur qu’est le marquis de Chaumont –Quitry. Sa bonté, sa générosité n’ont d’égales que sa bravoure dont il a donné des preuves, et sa modestie bien connue.
Il n’entrait pas dans ses vues que l’inauguration de son monument, qui aurait pu ressembler à sa propre glorification, eut le moindre caractère officiel et prit une importante trop grande ; mais il n’a pas été maître du mouvement d’opinion, qui a emporté toute la population de la ville de Bourges sans distinction de classes et d’opinions, dès qu’il s’est agi de glorifier ceux qui, en 1870, sauvèrent l’honneur et en 1914-1918 sauvèrent la Patrie.
L’inauguration du cimetière de Saint-Lazare a donc revêtu le double caractère d’une splendide explosion de patriotisme et d’une réconfortante manifestation d’union sacrée.
Il n’a a pas eu de défilé. On est venu individuellement.
Mais à deux heures et demie, sous le magnifique soleil, qui vers midi l’a emporté sur les nuées sombres du matin et brille maintenant dans l’azur sans nuage, tels les rayons de la victoire et de la gloire, toute la cité est représentée dans la nécropole de Saint-Lazare, groupée aux pieds du monument dans l’attente du moment où tombera le voile qui l’enveloppe.
Nous remarquons : Sa grandeur Mgr Izart, archevêque de Bourges en habit de chœur, avec l’étole sur la poitrine, il est assisté de Mgr de Boismarmin, vicaire général, de M. le chamoine Chastré, secrétaire général de l’Archevêché, également en habit de chœur. Il faut remonter à plusieurs années en arrière dans notre histoire, pour retrouver un exemple, de la participation officielle du haut clergé, d’un prince de l’église, à une manifestation publique, en plein air, sous le grand souffle de la liberté, qui tend à reprendre ses droits trop longtemps méconnus ; et quand tout à l’heure, le premier, Monseigneur prendra la parole devant plusieurs milliers d’auditeurs, sa voix puissante et éloquente, au milieu d’un silence religieux, sera entendue de tous, Semence féconde, puis-t-elle porter d’heureux fruits.
Aux premiers rangs de l’assistance, citons encore le générale Janin, commandant le 8° corps d’Armée, qui a bien voulu accepter la présidence de cette inauguration ; le général de Division Ferré, ancien commandant le 5° corps à Orléans, président général du « Souvenir Français », invité à ce titre à la cérémonie ; le médecin inspecteur Friant ; de nombreux officiers de tous les grades et de toutes les armes : M. Marcel Petit, chef de cabinet, représentant le Préfet.
Nous ne voyons pas de représentant de la municipalité, mais constatons que celle-ci a concédé le terrain où se dresse le monument.
Toutes les autorités civiles comptent d’ailleurs, dans l’assistance, des représentants : M. Maulmond, premier président ; M. Hardy, avocat général ; M. Rouffet, procureur de la République, ancien combattant ; l’abbé Klein ancien aumônier militaire ; les membres du Souvenir Français ; MM.Burdel. Tavernier, Nisserey, Jeanneteau ; de nombreuses notabilités ; MM. Pierre Dubois, député ; Ponroy, conseiller général ; docteur Témoin, Marcel Pillivuyt, Albert Hervet, Bouyonnet, Regnault, directeur de la Banque de France, etc, ect.
Les sociétés de préparation militaire, de gymnastique, les sections de médaillés, de vétérans, des mutilés, des anciens combattants, sont venues avec leurs drapeaux et leurs fanfares. Il y a des délégations de l’armée, avec la musique du 95. Les enfants du Pensionnat de la Salle, des patronages.
Un important service d’ordre a dû être organisé sous la direction de MM. Ichelet, commissaire central, et Degou, commissaire de police. Tout s’est d’ailleurs passé dans le plus grand calme et sans le moindre incident.
A 2 heures et demie, exactement, une statue débarrassée de son voile apparaît surmontant fièrement un important, mais sobre et sévère socle de pierre. C’est l’allégorie de la France, de la France pacifique, au lendemain de la victoire. Elle est figurée par une femme, naturellement aux fortes et viriles proportions, emblème à la fois de la sérénité calme et de la puissance redoutable. La pointe de l’épée fichée en terre, signifie que la France ne rêve pas de guerre, mais les mains appuyées sur la garde sont indice qu’une vigilance de tous les instants s’impose. La statue est coiffée du casque légendaire des poilus, la bourguignotte ; ce casque après avoir été à la peine, il était juste qu’il fut à l’honneur.
Devant le socle, et sous la légende : « Aux morts des deux grandes Guerres », un encorbellement a été ménagé pour recevoir des fleurs. Il en est orné à profusion. Deux sarcophages, aux couvercles supportant le signe de la rédemption, reposent à droite et à gauche sur l’emmarchement du monument. Ils sont décorés de palmes, de gerbes, de couronnes. Le premier, Mgr Izart, gravissant les degrés du monument, devant le socle et face à la foule immense, prend la parole. Voici le résumé de son émouvante allocution.
Nous sommes venus ici, dit-il, pour rendre hommage et féliciter le Souvenir Français, pour bénir ce beau monument qui symbolise nos deuils et nos gloires, et pour déposer à ses pieds, avec nos prières, la fleur de notre reconnaissance et de notre admiration.
Il fait un vibrant éloge du grand patriote à qui l’on doit ce monument, et qui a représenté ici une France victorieuse, s’appuyant confiante en l’avenir, sur un glaive renversé, dans la paix glorieuse.
Cette paix, nous la devons à la vaillance de nos héros, à laquelle Mgr. Dans une belle envolée oratoire, rend un magnifique hommage aux enfants de France, de toutes origines et de toutes conditions ; ils étaient partis avec courage pour défendre le droit violé. Ils ont fait le sacrifice le plus grand que l’on attendait d’eux, et, maintenant, voici que la France apparaît dans le rayonnement de la gloire que nos morts font resplendir plus encore sous la pourpre de leur sang.
Mgr. Déplore la guerre : « Oh ! la guerre, dit-il quelle triste chose ! » et il fait un pathétique tableau des horreurs qu’elle déchaîne.
Elle nous laisse cependant une mission, celle du souvenir pour ceux qui ont moissonné de la gloire, qui sont morts pour une mère qu’ils aimaient : la France. Aux héros connus et inconnus, nommés ou innomés, qui reposent un peu partout, comme à ceux qui sont revenus avec les marques de leur vaillance, les uns avec les galons, les autres avec des décorations ou des traces de meurtrissures, à tous Mgr. Adresse un salut, car la France leur doit sa gloire.
La péroraison de Sa Grandeur sur l’immortalité qui leur est assurée dans l’éternité du Dieu tout puissant est chaleureusement applaudie.
Mgr. Procède maintenant à la bénédiction du monument.
Toute l’assistance est découverte. Il dit les prières liturgiques, puis il fait l’aspersion de l’eau bénite en prononçant la formule rituelle. Le silence à ce moment est particulièrement impressionnant. Toute cette foule, on le sent, communie dans un même sentiment de foi patriotique et religieuse.
M. le commandant de Chaumont-Quitry prononce ensuite l’allocution suivante :
Mon général,
En vous remerciant du fond du cœur d’avoir bien voulu nous faire l’honneur de venir présider cette cérémonie, je suis heureux de remettre entre vos mains le don que je fais au Souvenir Français de ce monument, faible hommage que je dédie à nos compagnons d’armes morts pour la France.
Avant de voir à l’œuvre, dans cette longue et sanglante guerre, nos soldats de 1914, nous avions, mon général, vous et moi, connu leurs aînés, ceux de 1870. A ceux-là, hélas, la Fortune fut contraire, non pas que leur courage et leur dévouement ne fussent à la hauteur de tout ce qu’on peut attendre de tout soldat français, mais parce qu’ils furent écrasés par le nombre et parce que nos alliés d’hier n’avaient su alors ni comprendre, no prévoir. Avec eux, hélas, nous avons subi la défaite, et c’est pendant près de cinquante ans que la France a dû attendre sa revanche.
Grâce aux braves qui, pendant plus de quatre longues années, sous tous les climats, supportèrent sans faiblir les fatigues et les dangers, cette revanche fut éclatante ; mais, hélas, au prix des 1.500.000 morts que nous pleurons !
C’est pourquoi j’ai pensé que les uns comme les autres, ceux de 1870 comme ceux de 1914, devaient être réunis dans un seul et reconnaissant souvenir. C’est pourquoi j’ai conçu ce monument, qui les glorifie tous.
Je remercie M. le député-maire de Bourges et le Conseil municipal de m’avoir accordé ce magnifique emplacement. Mon monument se dresse là, en face de notre chère ville de Bourges, à qui j’en confie la garde.
Je remercie Sa Grandeur Monseigneur l’Archevêque, qui a daigné venir lui-même bénir mon œuvre, unissant par-dessus la vallée, par un lien céleste, la Statue de la France victorieuse à notre belle Cathédrale, édifiée par les ancêtres à la gloire de Dieu, unissant dans un même élan, vers le Ciel, la Cité des Morts au Temple des Vivants.
Que toutes les autorités civiles et militaires me permettent de leur dire ma gratitude. Ce m’est un témoignage de sympathie qui me touche profondément , ainsi qu’une récompense bien douce à mes peines, que de voir l’empressement avec lequel mon appel a été entendu.
Merci enfin à vous tous, mes chers compatriotes du Berry, d’âtre venus si nombreux. Vous avez, j’en suis certain, compris ce que j’ai voulu mettre dans mon œuvre, et ce qui lui fera, j’espère, pardonner ses imperfections ; vous y avez vu l’âme et les pensés d’un vieux soldat qui aime passionnément sa patrie et dont les efforts, tant qu’il sentira son cœur battre dans sa poitrine, seront consacrés à la glorifier et à la servir. Car cette patrie, c’est la France immortelle, que ses enfants ont sauvée au prix de leur sang.
J’ai encore, en terminant, mon général, un devoir à remplir, celui de vous remettre la belle plaque en marbre blanc fixée là-bas sur le mur du cimetière et qu’offre au Souvenir Français un généreux donateur qui m’a exprimé le vœu de ne pas être nommé.
Je m’incline devant ce désir, tout en regrettant profondément de ne pouvoir lui exprimer ici publiquement toute notre gratitude, non seulement pour le beau don qu’il nous a fait, mais aussi pour le dévouement sans borne que, depuis de longues années, il témoigne au Souvenir Français.
C’est maintenant le général Ferré qui parle au nom du « Souvenir Français ». La voix est forte, la conviction est profonde.
Voici le résumé de la première partie de son discours :
M. le général Ferré apporte au nom du Souvenir Français, son tribut d’hommages et d’admiration à ceux qui sont tombés pour la France « en soldats intrépides et courageux, en champions du droit, de la jsutice et de la civilisation » qui ont droit à notre éternelle reconnaissance.
M. le président du Souvenir Français rend également hommage au comité du Cher pour le zèle inlassable avec lequel il poursuit le double but de cette société s’est imposé : la glorification des soldats et marins, morts pour la Patrie, et la pérennité de leur souvenir.
Il remercie les autorités civiles et militaire de l’intérêt qu’elle témoignent au Souvenir Français en toutes circonstances et adresse des remerciement tout particuliers au représentant de la société dans le Cher, à l’auteur et généreux donateur de cette belle statue, au commandant de Chaumont-Quitry.
L’orateur le fait en ces termes :
Au risque d’effaroucher la modestie de M. de Chaumont Quitry, qu’il me soit permis de rappeler qu’affecté au début de la mobilisation, en raison de son âge, à un état major de l’Intérieur, il obtint, sur ses pressantes instances d’âtre envoyé aux Armées, dès la fin de 1914, et ce fut à la tête d’un bataillon territorial qu’il prit part successivement aux opérations dur l’Yser, en Artois, devant Verdun, en Champagne. Il connaît donc le troupier, le « poilu » et il l’aime pour avoir vécu de sa vie de campagne, pour avoir partagé ses travaux, ses souffrances et ses dangers.
Aussi, dès son retour dans ses foyers, reprit-il la direction du Comité local du Souvenir Français, à Bourges, s’attachant, avec l’aide désintéressé de dévoués collaborateurs de donner aux soldats inhumés pendant les hostilités dans ce cimetière, des sépultures dignes de leur héroïsme.
Mais relever des tombes, les orner d’emblèmes funéraires convenables et durables, les mettre à l’abri de toute profanation ne satisfaisait pas pleinement l’ardent patriotisme du commandant, il pensait aussi à ceux de ses compatriotes restés ensevelis sur toute l’étendue du théâtre de la guerre et à leurs aînés de 1870 qui ne méritaient pas de tomber dans l’oubli. Il rêvait, pour les magnifier, plus beau et plus grand, et c’est ce rêve, qu’artiste de talent, M. de Chaumont-Quitry a magistralement réalisé de ses mains, sous la forme allégorique de la France après la victoire, appuyée sur son épée abaissée, regardant l’avenir avec confiance.
Placée près de la concession dévolue à perpétuité par la Nation à ses vaillants défenseurs, elle semble prendre sous son égide de champ de repos et veiller à l’inviolabilité des reliques qui y sont déposées.
Par ses grandioses dimensions, cette statue attirera, dans le cœur des jeunes générations, des sentiments élevés, elle s’imposera à l’esprit, même des indifférents et des sceptiques portés peut-être déjà à oublier que s’ils jouissent actuellement des bienfaits de la paix, ils le doivent à ceux qui, en pleine santé, dans toute la force de l’âge, ont volontairement versé jusqu’à la dernière goutte de leur sang, pour sauvegarder nos biens, nos libertés, l’existence même du pays.
Le commandant Chaumont-Quitry veut bien remettre au Souvenir Français sa belle œuvre, ainsi que la table de marbre offerte par un généreux anonyme. Au nom de l’Association, j’exprime à M. de Chaumont-Quitry notre profonde reconnaissance et je prends l’engagement d’assurer la parfaite conservation de ces monuments, certain de trouver, le cas échéant, auprès de la municipalité de Bourges, toute facilité pour l’accomplissement de notre mandat.
Les statues cependant ne suffisent pas à elles seules à assurer la perpétuité du souvenir. Pour que nos glorieux morts ne tombent pas peu à peu dans l’oubli, pour que les circonstances de leur fin héroïque et prématurée servent d’exemple et de leçon aux générations futures, il faut y penser toujours et en parler souvent.
En terminant, j’adresse à l’évocation de ceux qui furent mes compagnons d’armes le salut ému d’un de leurs vieux généraux.
Le discours du général Ferré a été couvert d’applaudissements.
Au nom des mutilés M. Degueurce vient dire que les survivants de la grande guerre, fidèles au souvenir et à la mémoire de leurs camarades morts pour la Patrie, tiendront à honneur de toujours aider et défendre leurs veuves, leurs orphelins, leurs parents.
M. le général Janin prononce une brève allocution, glorifiant à la fois les braves de 1870 et les héros de 1914-1918.
La cérémonie n’est pas encore terminée.
Le général Ferré commande : Ouvre le ban ! et après les sonnerie réglementaires, au nom du Souvenir Français, il remet un certain nombre de distinctions honorifiques aux membres du Comité de Bourges et du Cher, pour services éminents rendus pour l’entretien des tombes de nos soldats.
M. le marquis de Chaumont-Quitry reçoit une médaille de vermeil d’autres médailles sont attribuées à MM. Tavernier, Burdel, Janneteau, Mornet et Misserey.
Après la cérémonie, M. de Chaumont-Quitry reçoit, avec de nombreuses marques de sympathie, des compliments justement mérités.
Toute la soirée, le cimetière Saint Lazare a été le but du pèlerinage pieux de la population de Bourges.
Source: Le Journal du Cher des 10 et 11 avril 1922 - Transcription Monumentsducher1418