Inauguration...
Le dimanche 30 avril, la population d’Oizon se trouvait rassemblée, presque tout entière, pour l’inauguration du monument élevé à la mémoire des enfants de la commune morts pour la France. Le monument a été construit au cimetière, sur un emplacement concédé par le Conseil municipal pour recevoir les tombes des soldats ramenés de la zone des armées. Pour répondre au vœu des familles et au sentiment de tous, la municipalité avait tenu à ce que cette cérémonie conservât le caractère d’une simple et pieuse manifestation de regrets. Après un office religieux à l’église, où fut bénie une plaque commémorative, un cortège se rendit au cimetière, encadré par les enfants des écoles, les conscrits, une délégation de la société des combattants d’Aubigny, les diverses sociétés de la commune, avec drapeaux et couronnes, et précédé de la jeune et déjà habile section de clairon et tambours d’Oizon.
Là, après la bénédiction des tombes et du monument, M. Delattre lut une adresse au nom des Combattants du Canton. Puis, M. le marquis de Vogüé, maire, prononça le discours suivant :
Je voudrais dire, sur ces tombes à peine refermées, devant ce monument où sont gravés les noms de nos chers morts, dans quels sentiments nos cœurs sont unis.
C’est d’abord dans la douleur. A l’appel de la France, injustement et traîtreusement attaquée, ils étaient partis, obéissant au plus sacré des devoirs, répondant aux larmes des épouses, des enfants, des mères, par la sérénité d’une conscience en repos et la fermeté d’une volonté droite. Comment oublier les jours qui suivirent ? Nous les savions exposés au danger et à la fatigue, au feu de l’ennemi et aux affres de la maladie. Leurs lettres, pauvres papiers griffonnés au hasard des repos, venaient de temps à autre nous parler d’eux. A travers leurs phrases volontairement obscures, nous cherchions à deviner leur situation, leur santé, leurs pensées vraies…Et puis les lettres ont cessé de venir ; et ce fut la cruelle attente, jours après jours, semaines après semaines, jusqu’à la certitude du malheur. Charger d’apporter cette certitude, quel souvenir poignant j’ai gardé de ces tristes missions ! et combien ma tâche était plus pénible encore, quand il fallait essayer de prolonger le doute, alors que le doute n’était plus permis !... Au rappel de ces moments d’angoisse et de souffrance, la douleur renait, aussi vive qu’au premier jour : il est des blessures que le temps ne guérit pas.
Mais il est aussi des gloires que le temps ne peut pas ternir. Nous avons le droit d’être fiers de nos soldats. Dans la longue histoire de notre pays, pourtant si riche en belles actions, il n’en est pas qui égale les leurs. La marne, l’Yser, l’Argonne, Verdun, sont des noms dont aucun autre nom n’approche. Nos enfants ont eu leur large part de la gloire commune. Dès le début de la guerre, à Chormes, leur solidité permit la victoire de la Marne. Sur la Somme, ce furent leurs bataillons qui donnèrent le premier choc victorieux. A Verdun, ils arrêtèrent la ruée allemande. Disséminés ensuite sur tout le front, ils furent engagés dans tous les combats qui préparèrent la victoire finale.
Il en tomba parmi les nôtres, jusqu’à la fin, grandis par le sacrifice, héros dont un peuple peut légitimement d’enorgueillir.
Unis dans la douleur et dans la fierté, nous sommes également unis dans la reconnaissance. Certes, notre reconnaissance va à tous nos défenseurs ; elle doit être particulièrement vive envers ceux qui ont succombé en luttant pour la protection de nos foyers, pour la sauvegarde de nos libertés. Ce n’est pas affaiblir les mérites des survivants que d’exalter ceux des morts.
Nous ne serions cependant pas quittes envers eux si nous bornions à faire leur éloge ; il faut encore que nous sachions comprendre et suivre la grande leçon qu’ils nous ont donnée. Ils sont morts pour que la France vive : nous devons vivre pour continuer leur œuvre. De même qu’ils se sont unis pour repousser l’ennemi, de même nous devons rester étroitement unis pour aider notre pays à sortir à son ? de la crise intense où le monde entier se débat aujourd’hui. Gardons nous de détruire par des divisions ? l’effet de leur sacrifice, l’ouvrage de leurs vertus et de leur sang. Que leur exemple nous serve de guide !
Un poème a dit de nos grands morts : « Leurs corps sont sous nos pieds mais leur âme est sur nous. »
Admirable pensée, capable de consoler nos cœurs affligés. La terre où repose leur dépouille ne garde d’eux que ce qu’il y a de périssable dans l’homme.
La partie immatérielle de leur être, cette âme immortelle que la mort a séparée du corps, vit d’une vie supérieure, qui domine la nôtre. Nous les entons là, près de nous, invisibles mais présents, étroitement mêlés à nos pensées, à nos soucis, à nos espérances.
Ils nous disent, à nous qui les avons connus et chéris, ils disent à ces enfants qui les pleurent, que nous devons rester fidèles aux causes pour lesquelles ils ont versé leur sang ; et que le meilleur hommage que nous puissions rendre à leur mémoire est de servir avec passion le pays qu’ils ont aimé jusqu’à la mort, ils nous conduisent vers ce monde meilleur auquel aspirent nos âmes croyantes et où nous serons un jour réunis à eux, si nous avons comme eux le mériter, pour un bonheur qui n’aura pas de fin.
Lorsque fut terminée la cérémonie au cimetière, le cortège se rendit à la mairie où, devant une plaque portant les noms des disparus, les enfants des écoles, sous la direction de M et Mme Dumes, instituteurs, chantèrent des chansons patriotiques et la Marseillaise.
Les assistants se séparèrent ensuite, gardant une impression profonde de cette très simple mais très émouvante cérémonie. Ils en conserveront longtemps le souvenir.
A l’évocation de nos deuils et de nos gloires, les cœurs se rapprochent, comme aux temps héroïques de la grande guerre ; en se réunissant pour honorer les morts, les vivants comprennent mieux les grands devoirs qui s’imposent à leurs volontés.
Source: La semine berrichonne du 6 mai 1922. Transcription Monumentsducher1418