Discours de M. Dubois, député du Cher
Mesdames, Messieurs,
C’est une douloureuse piété qui nous étreint le coeur quand nous pensons aux 108 braves dont les noms sont inscrits, en une longue liste funèbre, sur ce monument. Ils ont laissé dans le chagrin de vieux parents, des veuves, de petits orphelins qui portent le beau nom de pupilles de la Nation. Les sentiments qu’éprouvent tous ceux qui sont rassemblés au pied de cette stèle, si émouvante dans sa noble simplicité, pour prendre part à une triste et grave cérémonie, sont ceux d’une condoléance émue.
Ce n’est pas manquer au respect de nos morts, on l’a dit avec raison, que de proclamer la gloire de nos armées victorieuses et d’affirmer la volonté de nos résolutions de faire exécuter le Traité de Versailles ; mais ce jour est un jour de deuil, de tristesse et de souvenir. Nous devons à ceux que nous avons perdus des paroles de tendresse, l’hommage d’une pensée qui se reporte aux plus cruelles heures et aux plus douloureux chagrins.
Aux morts dont cette guerre perpétue la mémoire, pitié profonde, pitié attendrie, du fond du coeur !
Pleurons ceux qui ont tant souffert, qui ont perdu la vie dans l’épanouissement de la jeunesse !…
Le président Poincaré, le grand homme d’État entre les mains duquel on peut dire que la France a remis ses destinées, a fait dans son discours de Tulle, le 4 novembre dernier, l’éloge de nos régiments d’infanterie de Bourges, le 95° et le 295°.
L’histoire du 95° a été écrite par trois de ses officiers échappés à la tourmente. Il n’est pas de lecture plus impressionnante. Elle est, comme l’ont dit ses auteurs, l’épopée vécue, aidant les combattants à rassembler leurs souvenirs, offrant aux familles de nos chers disparus le récit des actions héroïques auxquelles ils participèrent et le mémorial de leurs souffrances et de leurs gloires.
L’histoire du 1° d’artillerie, votre caillant régiment, mon commandant, a été imprimée aussi en des pages plus condensées, mais noblement éloquentes dans leur sincérité militaire. Depuis la première bataille de Sarrebourg, dont le maire écrivait le 28 juin 1921 qu’il avait donné dans l’enceinte de la cité, à une voie importante, le nom de rue des Berrichons pour perpétuer la mémoire des braves qui avaient rendu la Lorraine à la France.
Les campagnes glorieuses du 27° d’artillerie, du 295°, ont eu aussi leurs historiens ; mais comment, en quelques courtes paroles, pourrait-on rappeler tous les actes d’héroïsme, les terribles journées de bataille, les nuit d’hiver dans les tranchées, les angoisses sur le sol miné, les morts glorieuses, les souffrances et, enfin, l’agonie des blessés ?
Vos compatriotes ont été dispersés dans tous les régiments. La liste des morts du Châtelet, dont vous avez entendu la lecture par M. le Maire du Châtelet avec une si poignante attention, a montré vos enfants combattant sur tous les points de l’immense front de bataille, partout donnant l’exemple d’un courge tranquille et sans forfanterie, habitant de la ville et de la campagne, bourgeois et ouvriers, de toutes professions et de tous âges.
Reverrons-nous ces cruels moments ? Nos grands chefs miliaires, qui savent ce qu’il faut de préparation, de matériel, de munitions, d’approvisionnements miliaires, de moyens de transport sur terre et sur mer pour engager et soutenir une guerre, nous assurent que l’Allemagne ne peut songer à nous attaquer ; à cela, il n’est pas de Ludendorf, ni de partisans de la revanche qui puissent rien changer.
Aucune nation au monde ne peut supporter seule l’effroyable charge d’une guerre de peuples. Il faut des appuis, des alliances, des ravitaillements dans l’univers entier.
Sans doute, et notre gouvernement le sait, les Allemands comptent sur leurs voisins de Russie ; une alliance mettrait entre leurs mains les immenses ressources de ce pays si troublant. A la France, la Russie a rendu d’inappréciables services au début de la guerre. Elle a détourné de notre sol les meilleurs généraux et leur plus puissante artillerie.
Plus tard, elle nous a trahis. Sans nous avertir, elle a traité avec l’ennemi commun, elle a laissé se déverser en torrents sur nous les hordes qu’elle avait arrêtées jusque-là.
Pourtant, il n’est pas impossible qu’un jour, par suite d’un changement dans la politique russe, nous retrouvions cette alliance.
Voyez-vous, Messieurs, l’Allemagne entourée de pays amis à la France : Russes, Polonais, Tchèques, Serbes, Italiens, Belges et Danois ! Elle serait cernée dans une ceinture de fer qui couperait court à toute velléité d’attaque….
Pauvres enfants tombés pour votre pays, blessés abandonnés sur le sol sanglant, appelant vainement dans la nuit leur mère, leur maman, succombant aux longues souffrances d’une agonie solitaire, rendant le dernier soupir dans des ambulances encombrées, votre souvenir rempli nos cœurs d’une tristesse infinie !
Hélas ! Il faut laisser avec résiliation les années faire leur œuvre inexorable, sans résister au travail apaisant des heures. Nous avons vu, ont dit les historiens du 95°, rentrer nos régiments avec une poignée seulement de ceux qui furent au départ. Ce retour rendait plus sensible encore l’absence de ceux qui ne sont plus, et dont le souvenir endeuillait notre joie. Pour vous aussi, parents et amis, il endeuille votre vie dans les travaux de chaque jour ; il jette un voile de crêpe sur le cours régulier de votre existence laborieuse, mêlée de joies et de peines.
Ce mausolée, d’une impeccable exécution, œuvre d’un habile sculpteur, votre concitoyen, M. Champeau, dont la belle inspiration artistique est certainement née du souvenir de ses compatriotes, qui ont été ses amis et dont il fallait honorer la mémoire, vous le regarderez toujours avec respect, avec une douloureuse émotion ; il vous dira : Honneur et souvenir éternel aux enfants du Châtelet morts pour la France !
Source: L'Avenir du Cher du 18 novembre 1923 - Transcription Monumentsducher1418