Inauguration...
Dimanche dernier, 7 novembre, notre musique: l'Union musicale, était conviée à offrir son concours, à l'occasion de l'inauguration du monument des Enfants de Charenton, Morts pour la France.
A la descente du train, M. Charbry, maire de la commune, souhaita la bienvenue à M. Garban, Président de l'Union musicale, et deux jeunes garçons lui offrirent au nom des Pupilles de la Nation et de celui des enfants de l'école, chacun un bouquet. Aussitôt, le cortège se forma; les deux bannières de la Lyre et de la Fanfare, les autorités de la ville, la commission de la Société, les musiciens, les habitants de la cité; et c'est en musique que se fit la traversée de Charenton, au milieu d'une foule dense, malgré l'heure matinale. Après avoir déposé leurs instruments dans une salle de la mairie, les musiciens, et la population, se dirigèrent vers l'église, où fut célébré un office en l'honneur des héros.
M. Douet, curé de St-Pierre, prêché d'une façon toute à son honneur, louant le courage de tous ceux qui ne sont plus, avec une force, un talent, qui arracha de nombreux pleurs aux auditeurs. Monsieur Roger nous fit entendre sa belle voix, qui, sous les voûtes de l'édifice, prenait un caractère divin.
L'office terminé, tout le monde se dirigea vers la mairie, où devaient arriver, à onze heures, MM. Bonnelat, sénateur, Valude, député, et Mativon, président du syndicat d'initiative de Charenton.
Un cortège se forma alors. En tête, l'on voit les enfants des écoles, puis viennent les trois vétérans survivants de la guerre de 1870, la musique et les membres officiels. Tous se dirigent vers le cimetière, situé derrière l'église et longeant la route des Perrons. Au fond de ce champ de repos, un obélisque tronqué, surmonté d'une croix de guerre sculptée, flanqué de deux petites colonnades, s'aperçoit de loin: c'est le Monument, à même lequel sont gravés les noms des 37 Enfants de Charenton tombés au champ d'honneur.
M. le curé, au milieu du silence ému de toute l'assistance, bénit le mausolée, en ajoutant:
"N'ayant pu bénir séparément les tombes de nos chers Enfants tombés sous la mitraille, je bénis ce monument, qui les réunit tous en un seul tombeau."
M. Mativon prend la parole, et lègue en un discours souvent coupé par l'émotion le monument à la Municipalité de la Ville. Puis M. Charby, maire de Charenton, lui répond en ces termes:
Monsieur le Président,
Au nom de la Commune de Charenton, au nom de la Municipalité, j'ai l'honneur de recevoir ce glorieux monument qui, désormais symbolisera à nos yeux les tombes éparses des enfants de Charenton morts au champ d'honneur.
Leurs noms en traits ineffaçables, sont gravés sur ce monument du Souvenir, mais profondément encore ils le sont dans nos coeurs.
A ces héros, dont les corps déchiquetés par la mitraille reposent quelque part, là-bas sur le champ de bataille de Champagne, de l'Argonne, de Verdun, à ces braves qui sont tombés, l'espoir au coeur sans entrevoir même l'aube de la victoire et qui, émerveillant le monde, ont sauvegardé notre Liberté, nous adressons l'hommage ému de notre infinie reconnaissance.
Cette reconnaissance, Mesdames et Messieurs, s'étend à tous nos glorieux mutilés, à tous ceux qui, plus heureux, sont sortis indemnes de l'épouvantable tourmente, mais dont l'abnégation et le courage indomptable ont sauvé la France de la ruine et de la servitude.
Et maintenant qu'il me soit permis de m'adresser tout particulièrement à nos chers orphelins de la guerre, à eux que, désormais, la nation adopte comme pupilles. Je veux leur dire ceci: c'est qu'ils pourront toujours, aujourd'hui comme demain, compter sur la sollicitude de la Municipalité de Charenton qui n'hésitera jamais à intercéder en leur faveur auprès des pouvoirs publics.
Et vous, pères, mères, épouses, qui avez été frappés dans vos plus chères affections, je vous prie de recevoir nos plus sincères condoléances, et l'expression de notre plus douloureuse sympathie.
Honneur à vos chers disparus! Honneur à eux car ils ont auréolé notre France d'une gloire sans égale.
Les enfants des écoles, sous la direction de l'instituteur, entonnent alors un chant en l'honneur de ceux qui dorment loin d'eux.
Sur un signe de M. garban, président de l'Union musicale, cette société joue la sonnerie "Au Drapeau": c'est que l'on va lire les noms des héros, en citant l'endroit où ils reposent, et, au milieu des pleurs des familles endeuillées, le funèbre énoncé se poursuit. Pour le clôturer, une nouvelle sonnerie "Au Drapeau" fait tressaillir nos coeurs déjà bien attendris.
C'est à ce moment que M. Valude, député, prononce un discours où il salue, au nom du gouvernement, ces humbles héros tombés le coeur plein d'espérance en la victoire finale.
Puis l'Union musicale entonne la célèbre Marche funèbre de Brieux. L'inauguration officielle du Monument est terminée.
Au retour à la mairie, la musique joue "Sambre et Meuse", puis, devant l'Hôtel de ville, c'est la Marseillaise. M. Valude s'avance alors auprès du distingué chef, M. Bonnelle, et le félicite pour la façon dont a été exécuté la marche funèbre.
A une heure et demie, un banquet réunit les personnalités officielles et les musiciens. Dans une des salles de l'école, cent vingt couverts environ sont dressés avec un goût exquis.
Au dessert, après une improvisation de M. Charbry, M. Chabanon, le prochain sous-Préfet de Saint Amand, souhaite la bienvenue à la municipalité de Charenton. M. Bonnelat, sénateur, lève son verre à la santé des Vétérans de 1870, dont il est le représentant et à la mémoire des glorieux Enfants tombés pour la Revanche. Enfin, M. Valude, remercie tous ceux qui vinrent prêter leur concours à cette solennité principalement notre musique, qui, a-t'il dit:
l'a charmé plus que ne l'avaient encore fait aucune de celles qu'il avait entendues jusqu'alors.
Le soleil, qui s'était montré toute la matinée, comme pour auréoler les glorieux Morts, se cache pendant le banquet, et c'est par un froid terrible que nos musiciens donnèrent de trois à quatre heures, un joli concert fort applaudi par la foule.
Enfin, à cinq heures, nous reprenions le train pour Saint Amand, gardant à jamais la souvenir de cette journée où furent à l'honneur les Enfants de Charenton Morts pour la France.
Source: L'Echo du Cher du 14 nocvembre 1921 - Transcription Monumentsducher1418