Un discours de M. Marcel Plaisant
M. Marcel Plaisant, député du Cher, revenant de Génève où il était délégué de la France à l’Assemblée de la Société des Nations a préside la cérémonie d’inauguration du monument aux Morts de Savigny en Sancerre (Cher), le dimanche 4 octobre 1925
A cette occasion, le Député du Cher a prononcé le discours suivent :
Messieurs,
Aux enfants de Savigny en Sancerre tombés pendant la guerre, vous avez élevé ce monument sur la place publique, au carrefour des routes qui viennent de vos collines, pour exprimer votre reconnaissance à l’égard de ceux qui se sont livré) la mort, pour la vie de la patrie, et pour dire au passant l’amer orgueil de la commune devant la perte de se plus florissante jeunesse. Autant est grande notre douleur devant les images qu’évoquent ces héros, autant est fidèle notre mémoire à leur souvenir. Loin d’en effacer la trace, les années qui passent marquent encore mieux la valeur de leur sacrifice. Les anciens combattants, les mutilés, les veuves, ses orphelins qui nous entourent, survivants et témoins comme nous-mêmes des vertus déployées par ces soldats suffiraient à entretenir la flamme sacrée chez un peuple qui a conscience de la majesté et des misères de son destin. Mais ces stèles dressés par votre piété dans nos villages sont comme des combattants de pierre, comme des combattants perpétuels qui montent la garde devant votre histoire et qui enseigneront à la postérité par ces inscriptions le pris qu’ont coûté à la France l’amour de l’indépendance et la passion de la liberté.
Mais ils ne traduiront pas la douleur des mères. Et dans ce jour que nous avez voulu solennel pour commémorer des hommes qui décorent la cité du lustre le plus éclatant, je voudrais que ma pensée se fit plus recueillie, je désirerais que ma vois fut plus intime pour dire aux mères et aux veuves que je devine leur douleur, et que je sens l’impuissance des paroles devant les sentiments que, seule apaise, la rosée des larmes.
Lorsque ces jeunes hommes partaient pou le combat, ils voulaient défendre la plus belle des patries ; ils avaient conscience de lutter pour le droit injustement outragé.
Mais s’il st une pensée qui a plané sur le souffle expirant des combattants à laquelle nous avons le devoir de rester fidèles c’est celle de la paix : radieuse image qui rendait peut-être pour eux plus légère les ombres de la mort, elle doit nous inspirer dans les actes de la vie. Ainsi les hommes d’Etat doivent-ils obéir à cette leçon suprême lorsque chaque année se réunit à Genève l’assemblée de la Société des Nations. Avons-nous assez travaillé pour la paix ? Avons-nous assez bien cherché les voix qui garantissent aux hommes la sécurité ? Nuls témoins ne sont plus qualifiés que les mânes invisibles de nos compagnons d’armes, nul lieu n’est plus propice pour nous livrer à cette méditation.
Si les travaux issus de cette sixième assemblée ressortent avec un relief moins saisissant que ceux de l’année dernière peut-être ont-ils apporté un concours d’un caractère plus pénétrant et plus durable à l’œuvre de la paix. Sans doute le protocole pour le règlement pacifique des différends internationaux s’offre comme une notre construction à laquelle la France est fière d’avoir apporté ses premières assises. Mais, si vif, que puisse être notre orgueil national dans cette entreprise, il ne suffit pas de bâtir, il faut encore que le monument érigé soit habitable pour nous les hommes, que le tempérament et le génie de tous les peuples puissent s’adapter. L’expérience a révélé la nécessité de conclure tout d’abord des ententes régionales comportant garantie mutuelle de la sécurité de nos frontières qui viendront s’enclaver comme des ailes dans la partie principale de l’édifice. Tel est le pacte rhénan dont M. Aristide Briand assure la souplesse et l’étendue dans la conférence de Locarno qui s’ouvrira demain. Tels seront d’autres pactes concernant l’Europe centrale et l’Europe orientale qui viendront je joindre comme des maillons au premier pour relier d’une chaîne continue toutes le frontières nouvelles nées de la guerre et qui doivent demeurer intangibles pour sauvegarder la pais. Des pactes particuliers la méthode est préférable puisqu’elle permet une coopération plus intime avec nos alliés britanniques ; des pactes l’esprit est excellent dès lors que ces traités de sécurité mutuelle sont conçus, comme nous l’avons voté à Genève, dans l’esprit du pacte de la Société des Nations et en harmonie avec les principes du protocole, arbitrage, sécurité et désarmement.
Mais si l’esprit du protocole demeure si vivant que rien ne peut se faire en dehors de lui, si la délégation française a pu faire prévaloir cette idée que toutes les œuvres de paix étaient nécessairement engendrées par cette synthèse supérieure, c’est qu’en vérité, en dépit de toutes les déceptions et de toutes les vicissitudes, l’atmosphère de la Société des Nations est imprégnée de la pensée française et finit pas être pénétrée par la raison latine de ce sens de l’universel qui veut embrasse le monde d’un vaste réseau de devoirs et d’obligations sous lequel soient étouffées les forces du mal.
Lutter contre les forces du mal, Faire triompher la justice entre les nations comme le droit entre les hommes. Terrasser les instincts de violence et de domination qui allument une flamme de haine dans les yeux des méchants. S’enthousiasmer pour les idées les plus hardies en respectant les croyances de ses concitoyens. C’est le testament de haute moralité politique que nous ont laissé les enfants que nous célébrons aujourd’hui. C’est la devise de concorde et d’union que nous devons pratiquer comme le plus magnifique hommage au souvenir de ces héros et à l’idéal de la République.
Source: L'Avenir du Cher du 11 octobre 1925. Transcription Monumentsducher1418