Discours...
Voici le magnifique discours prononcé par M. Froumenty, directeur de l’Ecole Nationale professionnelle, à la cérémonie de jeudi dernier, discours qui a été très applaudi. Profitons de la circonstance pour adresser à l’aimable directeur de l’École de Vierzon, toutes les félicitations qu’il mérite pour l’organisation parfaite de cette cérémonie.
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Le comité qui s’est constitué à l’École Nationale professionnelle de Vierzon avec la pieuse pensée de voire dresser une plaque sur laquelle seraient gravés les noms de ses maîtres et élèves tombés au Champ d’honneur, durant la Grande Guerre, a atteint le but qu’il s’était proposé. Il vous vous a demandé d’assister à l’inauguration de ce marbre, et, répondant à son appel, vous êtes venus, nombreux, apporter à l’École et à ses chers disparus une marque de sympathie bien précieuse. Il ne sait comment vous traduire sa reconnaissance. En son nom et du fond du cœur, je vous dis simplement : Merci !
Le président du Comité, qui est en même temps Directeur de L’École, tient à exprimer à M. le Ministre ses remerciements les plus vifs pour avoir accepté si spontanément l’invitation qui lui a été transmise. Sa présence au milieu de nous prouve, une fois de plus, l’intérêt qu’il porte à nos établissements, et les services nombreux qu’il a déjà rendus à L’École de Vierzon, en particulier, font qu’il a droit à toute notre gratitude. J’adresse au représentants du Gouvernement de la République l’hommage de notre profond respect.
Nos remerciements vont également à M. Labbé, Directeur de l’Enseignement technique, que l’Ecole de Vierzon a compté jadis au nombre de ces brillants professeurs. Tous ceux qui l’ont connu ici se souviennent encore de la compétence, de l’énergie qu’il apportait dans ses fonctions et je sais combien ils sont heureux de le retrouver à la tête d’un service aussi important que celui de l’enseignement technique. Je suis heureux de lui renouveler l’assurance qu’il peut compter sans réserves, sur le concours du personnel de l’École de Vierzon pour mener à bien la lourde tâche qu’il s’est imposée.
Nous avons aussi la joie de voir ici mon prédécesseur, M. Roux, Directeur de l’Enseignement technique en Alsace-Lorraine, qui a eu comme collaborateur tous les maîtres et comme élèves la plupart de ceux qui figurent sur la funèbre liste. Il a considéré comme un devoir de leur apporter un nouveau témoignage de sa vive affection : Le Comité lui en est profondément reconnaissant.
Mesdames, Messieurs,
Le souvenir de nos morts, de tous ceux qui sont tombés au Champ d’honneur pour que la France vive, mérite d’être pieusement conservé. C’est pourquoi nous vous avons demandé d’assister à cette modeste et intime solennité dans laquelle il nous a été permis de rappeler les noms des nôtres qui ont fait si vaillamment leur devoir et qui ont ajouté à l’histoire déjà bien glorieuse de L’École nationale professionnelle de Vierzon une page immortelle.
La plaque commémorative que nous inaugurons aujourd’hui contient 110 noms, ceux de 3 maîtres et deux de 107 élèves. Les uns et les autres ont mêlé leur sang sur les champs de bataille de l’Yser, de la Somme, du Chemin des Dames, du Bois le Prêtre, de Verdun, des Vosges et vous ne m’en voudrez pas si je les confonds aujourd’hui dans la même pensée ; ils ont droit aux mêmes hommages, à la même admiration.
Hélas, cette liste est encore très incomplète. Pourtant ces chiffres sont assez éloquents à eux seuls pour dire combien notre établissement a été frappé et combien nous avons raison de mettre sous les yeux des nouvelles générations les noms de tous ces vaillants soldats. Ils sont tombés pour la Patrie, pour la Justice et , en faisant le sacrifice de leur vie à la cause de la civilisation et du droit, ils ont donné au monde une leçon suprême dont la grandeur ne saurait être dépassée. Ils ont montré que l’Ecole qui les avait préparés au point de vis professionnel, avait su développer en eux les sentiments d’une morale élevée et que, sil elle leur avait appris à connaître leur métier, elle leur avait également appris toute l’étendue de leurs devoirs.
Tous avaient répondu au premier appel de la Patrie menée. Joyeusement, ils avaient appelé leur place dans la mêlée n’ayant qu’une ambition, celle de mettre au service de la lutte grandiose qui se jouait tout ce qu’ils possédaient de volonté et de dévouement Ils ont marché comme marchaient les Hébreux vers la Terre promise, en se disant que peut-être ils ne l’atteindraient pas, que peut-être ils tomberaient en route avant que l’arriver en territoire bienheureux, sachant qu’aller de l’avant était le devoir, dût-on jalonner de ses ossements le passage tracé par les autres.
Un établissement qui a formé de telles âmes peut être fier de son passé. Ses maîtres méritent la confiance des familles, celle des pouvoirs publics et ceux d’entre eux qui ont été frappés ont eu la suprême joie de dire adieu à tout ce qu’ils aimaient, avec le sentiment d’avoir accompli une œuvre utile.
Je voudrais pouvoir évoquer devant vous les titres de gloire de ceux dont nous revivons aujourd’hui le souvenir. Je voudrais vous donner lecture des belles citations dont leurs noms s’accompagnent et je serais heureux de rappeler comment, pour la plupart, ils ont conquis des grades élevés, comment ils se sont couverts de distinctions. Le livre d’or de l’Association des anciens élèves des E.N.P. contient leurs titres ; c’est dans ces documents que nous puiserons chaque année pour exalter le courage, le dévouement, l’abnégation de soi-même afin de donner à nos jeunes élèves les meilleurs, les plus pures des leçons.
A chaque rentrée scolaire, nous viendrons avec nos nouveaux élèves au pied de cette plaque. A l’appel de leurs noms, à la lecture de leurs citations, nos chers disparus revivront devant nous et nous nous inspirerons de leur exemple. Nous dirons ce qu’a été leur existence si brève. Dans cette première causerie, nous retremperons nos énergies, nous puiserons les forces voulues pour poursuivre notre tâche et, soutenus alors par la volonté ferme de ne pas trahir leur glorieux passé, nous pendrons conscience de travailler modestement, il est vrai, mais sûrement à la grandeur de notre pays.
Telle est Mesdames et Messieurs, la signification que nous donnons à l’inauguration de cette plaque destinée à rappeler constamment aux élèves le sublime sacrifice de leurs aînés. Elle éternisera à jamais la mémoire de ceux qui nous sont si chers et restera le symbole du deuil que l’Ecole portera avec douleur, mais aussi avec fierté. Les anciens élèves, les membres des Coseils d’administration et de patronage, les amis de l’Ecole, le personnel, les élèves qui nous ont aidés à réaliser notre projet, peuvent être certains que cette simple stèle de marbre sera toujours entourée de respect et de vénération. Les familles sauront avec quelle fidélité nous conserverons le souvenir de ceux qu’elles pleurent et qui dorment leur dernier sommeil dans ces champs sublimes où se jouaient les destinées de la France, de tous ces braves qui ont enduré des souffrances surhumaines et qui ont été, suivant une expression si saisissante « les rédempteurs de notre destin ».
La promesse que je fais aujourd’hui publiquement au nom de l’Ecole sera tenue. Mais dans ce jour de tristesse et d’évocation, ma pensée va vers les pères, les mères, les époux, les enfants de ceux que nous glorifions. Leur vie désormais inquiète sera entourée de bien des larmes, de bien des regrets que nous n’essaierons pas d’atténuer. Devant cette immense douleur, nous nous inclinons profondément, respectueusement.
Quand ces familles éplorées, à certains anniversaires pénibles, auront besoin de réconfort, je leur demanderai de venir passer quelques heures dans cette école où les êtres qu’elles aimaient tant avaient vécu leurs meilleurs années ; elles entendront parler d’eux, on leur dira les sentiments d’affection que nous avons pour nos enfants, et elles emporteront de leur pieux pélerinage un souvenir qui adoucira l’amertume de l’heure qui passe. Elles viendront retrouver les places occupées par leur fils, leur époux, leur père et elles pourront, ainsi, répéter à nos jeunes gens ce qu’attendent d’eux, ceux qui ne sont plus.
Mais nous aideront à faire comprendre à nos élèves qu’ils ont, eux aussi, une mission sacrée à remplir et que si la victoire a été si chèrement conquise par ceux qui seront toujours à l’honneur, ils doivent, à leur tour, travailler énergiquement, sans faiblesse, et donner leur cœurs et leurs actes à la hauteur des circonstances afin de gagner et mériter la Paix.
L’heure est grave. Depuis le mois d’août 1914, toutes les conditions normales de la vie économique ont éyé bouleversées dans les deux mondes ; les méthodes industrielles, les pratiques commerciales ont subi des changements considérables. Pour des besoins nouveaux nés du fait des modifications profondes qui se sont accomplies presque spontanément, a surgi une vie nouvelle à laquelle nous n’étions pas préparés, il y a des transformations nombreuses à accomplir et il appartient aux jeunes générations de collaborer d’une façon active à la reconstitution et à la rénovation de notre pays. L’École qui nous a formé vous fait confiance ; elle sait que vous remplirez avec succès le rôle qui vous incombe.
Devant vous se dresse une tâche énorme qui exige toutes les bonnes volontés et pour la mener à bien, il sera nécessaire d’y consacrer tout ce que vous possédez d’initiative et d’abnégation patriotique.
Soyez courageux ! Restez de loyaux soldats de la paix, et continuant l’œuvre de vos aînés, vous contribuerez à la reconnaissance de la Patrie !
Devant ce marbre noir où brillent les noms de tous ces héros, prenez l’engagement d’être les bons ouvriers de notre rétablissement économique. C’est sur vous qu’ils comptaient pour continuer leur effort et pour que notre grand pays, si cruellement meurtri, puisse cicatriser ses blessures et réaliser enfin dans le calme de la Paix bienfaisante, son idéal de justice et de liberté !
Discours prononcé par M.E. Garabiol, président de la Société Amicale des Anciens élèves des Ecoles Nationales professionnelles, 0 Vierzon, le 7 juillet 1921 ;
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers camarades,
C’est au nom de la Société Amicale des Anciens Elèves des Ecoles Nationales Professionnelles que je viens aujourd’hui accomplir ce pieux devoir et m’unir à tous ceux qui sont ici, pour commémorer le sacrifice des nôtres tombés au Champ d’honneur.
Notre Société a prêté son concours au Comité d’organisation, au groupe Vierzonnais, et j’adresse en son nom à M. Froumenty, Directeur de cette Ecole, à nôtre Camarade Thanvin, Président du Groupe Vierzonnais, à vous tous, à des titres divers, avez contribué à l’érection de cette plaque, nos plus sincères remerciements.
Nous avons voulu que ce souvenir se perpétue en laissant à mes jeunes camarades l’attestation constante du dévouement de leurs anciens.
Bien des Membres de notre Comité se faisaient un devoir de venir aujourd’hui nous témoigner leur sympathie, mais les circonstances ne leur ont pas permis.
Ils ont tous regretté de n’avoir pu faire ce pèlerinage, à notre Ecole de Vierzon, où notre Société a pris naissance, en 1895.
Je me fais leur interprète en vous transmettant tous leurs regrets.
Nous tous qui avons traversé la tourmente, savons certes, tout ce que comporte de grandeur et d’héroïsme le généreux sacrifice de nos jeunes camarades tombés glorieusement pour la défense du droit.
Leur pensée reste présente parmi nous, notre ardente gratitude ne leur fera jamais défaut car cette victoire, si chèrement acquise nous la leur devons.
Et la Société Amicale des Anciens Élèves des Écoles Nationales Professionnelles, dont le rôle est de toujours resserrer les liens qui unissent les jeunes promotions à leurs aînées a voulu qu’en ces lieux où se forment de nouvelles légions de techniciens d’élite, nos futurs Sociétaires aient présent, sous les yeux, un souvenir tangible de l’héroïsme de leurs anciens Camarades.
En espérant pour eux des temps meilleurs où le travail pacifique sera la seule loi du monde civilisé, nous voulons qu’ils sentent, qu’avant eux, d’autres générations ont peiné et souffert pour leur acquérir cette sécurité sans laquelle tout progrès est impossible. Ils puiseront dans cette pesée la plus haute notion de solidarité humaine.
En comprenant tout ce qui les attache au passé, dont ils sauront mesurer toute la grandeur, ils voudront réaliser toutes les espérances que nous mettons en eux.
Le relèvement de nos ruines, les sciences, l’industrie, seront les champs de bataille où ils sauront exalter toutes le vertus de notre race.
Tous les nôtres ont fait leur devoir en suivant d’ailleurs les beaux exemples de leurs Maîtres, de leurs professeurs qui sont tombés aussi au Champ d’honneur
Leurs jeunes élèves les ont suivis dans leurs pensées et dans leur action en se sacrifiant comme eux.
Le nom des Maîtres, ceux de leurs jeunes Élèves ainsi réunis attestent l’étroite union qui existe entre les Maîtres et les Élèves de l’Enseignement Technique.
Chacun, dans le milieu particulier où il se trouvait a rempli, dans bien des cas, d’éminents services et je me permets d’attirer l’attention de l’assemblée qui m’entoure que un de nos anciens Professeurs, M. L’abbé, aujourd’hui Directeur de l’Enseignement Technique.
Mon cher Président d’honneur, je tiens à signaler ici la part active que vous avez prise lorsque, prisonnier à Armentières et à Lille, vous avez assuré, malgré des difficultés innombrables, le ravitaillement de la population du Nord.
La haute conception de votre devoir, que vous avez si superbement accompli, est pour nous un bel exemple à donner à tous les Français.
Aussi, lorsque l’an dernier, le Gouvernement de la République vous a décerné la haute récompense due à vos services, c’est de tout notre cœur que nous avons applaudi, à votre nomination de Commandeur de la Légion d’Honneur.
Je remercie bien sincèrement M. Gaston Vidal, notre Ministre de l’Enseignement Technique, du grand honneur qu’il nous fait de venir présider cette cérémonie.
Sa présence n’atteste pas seulement la sollicitude du Gouvernement de la République pour nos écoles, mais son titre d’ancien combattant, ses glorieuses citations, ses nombreuses blessures, ses sept palmes de fantassin, si glorieusement acquises, donnent à sa présence une haute signification dont nous mesurons toute la portée.
Au nom de tous nos camarades, je lui exprime mes plus vifs remerciements.
Il me permettra de lui demander toute sa bienveillance pour que dans le réorganisation qui se prépare, en vue d’une meilleure utilisation des techniciens, les Écoles Nationales Professionnelles, pour lesquelles il n’a cesser de donner tant de marques de sympathie, ne soient point oubliées.
Nous ne serions pas dignes du sacrifice de nos morts si les Élèves des Écoles Nationales Professionnelles ne travaillaient pas passionnément pour toutes les œuvres de la Paix.
Notre formation technique, dont l’organisation a été conçue au lendemain de nos désastres de 1870, avait déjà en 1876 et 1877 d’ardents réalisateurs comme : Jules Ferry, Henri Brisson et Ferdinand Buisson.
Ils avaient prévu la nécessité d’un développement industriel de notre Nation. Il ont créé nos Écoles et l’on peut dire aujourd’hui que ces institutions représentent le plus beau joyau de l’Enseignement Technique français.
Loin de nous toute pensée qui pourrait nous laisser croire que les horreurs que nous avons vues puissent se renouveler. Mais si contre toute attente et contre toute espérance, ce cauchemar devait encore revivre, il faut, Monsieur le Ministre que nous soyons prêts, nous les techniciens, à servir notre Patrie utilement dans les postes où notre culture rendra les services que l’on peut attendre de nous.
Je ne doute point de notre précieuse intervention à cet égard et je tiens, dès à présent à vous manifester en cette cérémonie la profonde sympathie des anciens élèves des écoles Nationales Professionnelles.
Je tiens aussi à vous assurer combien de bonnes volontés vous trouverez parmi nous pour vous aider à parfaire l’Enseignement de nos écoles, à vous faciliter aussi l’accomplissement du programme de rénovation de l’Enseignement Technique que vous aviez si éloquemment préconisé, à notre dernière Assemblée générale.
J’adresse aux familles de nos morts, à leurs amis et leurs camarades plus intimes les condoléances de notre Société. Je leur dis aussi quelle grande consolation ils peuvent trouver en sachant que le sacrifice de leurs enfants ou de leurs amis n’a pas été vain. Leur nom sera perpétué parmi toutes les promotions qui se succèdent à l’École et, soit que leurs corps aient disparu entre les plaines du Nord et du du sommet des Vosges, soit qu’ils reposent au sein de leur famille, ou peut-être aussi glorieusement sous l’Arc de Triomphe, cette modeste plaque n’en sera pas moins l’attestation du sacrifice qu’ils ont accompli.
Et vous-même jeunes camarades lorsque pour la dernière fois vous franchirez le seuil de cette École, n’oubliez pas de saluer très bas, le cœur ému, les noms de vos anciens qui vous ont ainsi préparé dans la vie, une voie plus sûre, par la victoire qu’ils ont gagnée et par la sécurité de vivre qu’ils ont contribué à donner à notre cher Pays.
Source: La Dépêche du Berry de 1921. / Transcription Monumentsducher1418