Inauguration...
Le « Faubourg St-Amandois », comme l’a fort justement appelé M. le Préfet du Cher, était dimanche dernier en ébullition. Une foule y était accourue dès le matin conviée par l’actif maire de la commune à l’inauguration du monument aux Morts.
Disons de suite qu’il ne s’agissait pas d’une fête, mais bien d’un pieux hommage à ceux des Enfants d’Orval qui sont morts pour la France ; la cérémonie tout entière, inspirée de ce sentiment et parfaitement ordonnée, peut en tous points servir d’exemple.
A 10 heures eut lieu en l’église, trop petite pour la circonstance, une messe au cours de laquelle Mlle Valigny et M. Roger se firent entendre.
A l’issue de la messe la foule se rendit au cimetière où des couronnes et des fleurs furent déposées sur les tombes des soldats ramenés du front.
Quelques instants plus tard M. le Maire recevait, à leur descente de voiture, MM. Le Préfet du Cher, à qui une charmante jeune fille d’Orval offrit des fleurs, le sous-préfet de St-Amand, Valude député. Après une rapide présentation des fonctionnaires et de l’abbé Montigny, Président du Comité du Monument, on se mit à table. Les convives firent honneur au banquet, fort bien servi par M. Preau, et vers quatorze heures, après un toast de M. le Maire et la réponse de M. le Préfet, on se rassembla sur la place pour la cérémonie officielle.
La foule déjà s’y était amassée et l’excellent Union Musicale y avait amené aux sons entraînants de ses pas redoublés une délégation de l’Union des Mutilés, Combattants et Mobilisés de Saint-Amand et une quantité de promeneurs.
La cérémonie officielle.
Le cortège se mit en marche aux accents vibrants de Sambre et Meuse et se dirigea vers le rond-point où est élevé le monument. La petite place ornée de drapeaux, d’oriflammes et de rubans tricolores, ne se ressemble plus ; la municipalité y a aménagé un terre-plein avec mur de soutènement. A l’entour du Monument les emplacements spéciaux sont réservés à chaque catégorie d’auditeurs et c’est automatiquement, pour ainsi dire, que chaque groupe prend sa place : les Officiels face au Monument dont les gradins sont déjà garnis de fleurs, à leur droite les familles des Morts, à gauche les Vétérans et Combattants, sur la 4° face du carré, l’Union Musicale et les Enfants des Ecoles.
Ce sonr ceux-ci, sous la direction de leur excellent maître, M. Guillaumin que ne cessera de se prodiguer au cours de la journée, qui vont ouvrir a cérémonie par un chant à la gloire des Morts pour la Patrie, après que l’Union Musicale eut joué la Marche funèbre de Chopin.
Puis le sympathique abbé Montigny, Président du Comité, remet le Monument à la Municipalité par le beau discours ci-dessous :
M. le Préfet, M. le Député, M. le Maire, Mesdames, Messieurs,
Au nom du Comité chargé de l’érection de ce monument commémoratif que nous inaugurons aujourd’hui, je viens remercier les familles d’Orval qui ont si unanimement et si généreusement répondu à son appel. Le sympathique accueil qui fut fait à notre souscription, a été de pair avec les bonnes volontés qui se sont offertes pour la présenter.
Comment d’ailleurs pouvait-il en être autrement, quand il s’agissait de payer une dette de semblable reconnaissance. Ceux dont nous honorons la mémoire en faisant pour nous tous, le suprême sacrifice ont dépassé de beaucoup ce faible témoignage de notre gratitude. Ce n’est hélas ! que ce que peuvent faire nos capacités humaines pour honorer leur souvenir et le perpétuer de façon durable au milieu des futures générations.
Pour ce livre immense de la générosité et du dévouement patriotique écrit du sang de nos héros, livre dont les pages de pierre, de marbre ou de bronze vont bientôt se lire dans toutes les communes de France, la commune d’Orval a fait graver la sienne. Œuvre simple, sévère, mais si distinguée cependant dans sa simplicité que nos remerciements vont à l’architecte au talent duquel nous le devons.
Voilà donc accomplie la tâche qui nous avait été confiée, et le Comité à l’honneur de remettre aux bons soins et à la garde de M. le Maire ce monument commémoratif.
Vieille comme le monde est cette coutume de commémorer par une œuvre sensible et durable une action glorieuse quelconque. Il est inutile d’en chercher les origines dans l’histoire , car elle commence avec l’histoire même. L’homme primitif a-t-il tué une bête féroce qui désolait la contrée, il en suspend fièrement la dépouille à l’entrée de sa demeure, mais la dépouille se détruit, elle disparait : il taille alors comme il peut dans le bois ou la pierre selon qu’une hutte ou une caverne lui sert d’habitation une image de combat où il est illustré ; car il veut que ses enfants et petits enfants disent en voyant cela : c’est ici qu’était l’homme qui savait nous défendre…A bien des siècles de distance, notre pensée n’a pas changé et notre but est le même. Nous, les parents, les mais de ces généreux, de ces vaillants, nous voulons que les enfants et petits enfants d’Orval en s’approchant de ce monument, et y lisant les noms, dans la pierre gravés, ils disent : Voilà les noms de ceux qui savaient nous défendre. Ils ont fait partie ceux là de cette héroïque légion qui de 1914 à 1918 traqua cette bête féroce déchaînée sur la France y semant partout la terreur et la mort. Ces temps de douloureuse mémoire auront beau s’enfoncer dans le passé, ils n’en seront jamais voilés par l’oubli. Jamais nous ne perdrons le souvenir de ces fermes pillées, de ces villages en flammes, de ces églises effondrées, de ces cadavres jonchant le sol. De ce temps où dans la France envahie, il n’y avait de sécurité ni pour l’innocence ni pour la faiblesse. De ce temps où ces enfants, ces vieillards s’empressaient de fuir. De ce temps où tombaient ces jeunes gens pleins de vie et souriant à l’avenir, où tombaient dans la force et la santé, ces vaillants parvenus à l’âge d’hommes. De ce temps enfin, où l’existence même de notre pays tout entier est menacée. Non, nous n’oublierons pas cela, mais nous nous souviendrons également que notre terrifiant adversaire, malgré sa fortune du début, trouva un jour son maître en la bravoure française.
Comme à Waterloo, où la France avait dit par la bouche d’un de ses fils ; je meurs et ne me rends pas. De même longtemps après des Français ont prouvé que les enfants de cette France savaient toujours préférer la mort à une honteuse captivité.
La plupart sont tombés loin de cette terre d’Orval, sans recevoir les derniers adieux d’une mère, d’une sœur, d’un ami, d’une épouse peut-être. Qui nous dira tous les secrets de leur mort, de ce qui s’est passé au dernier moment dans l’âme de ces héros ?
Aujourd’hui qu’ils sont de notre fête et l’unique objet de notre fête nous les interrogeons et nous entendons leur réponse.
Un ami d’enfance, un de nos compatriotes, un berrichon, prononçait un jour dans une heure tragique, une parole qui fit fortune et fut traduite par la poésie et les arts du dessin.
Debout les morts ! s’écrira-t-il, s’adressant à ses hommes couchés pêle-mêle dans la tranchée et ne donnant plus signe de vie, alors qu’une vague d’assaut ennemie se jetait sur eux pour occuper le terrain. En face du danger, à la parole u Chef, ces corps semblent pour toujours endormis, se redressent soudain dans un effort suprême et saisissant leurs grenades arrêtent l’envahisseur dans un choc meurtrier.
Comme le lieutenant Péricard, mais dans une toute autre circonstance, je crierai en votre nom à tous, m’adressant à nos chers disparus : Debout les Morts ! Debout ! non pour repousser une vague d’assaut ennemie, mais pour voir cette foule de parents, d’amis, ces représentants du gouvernement français venus tout exprès en ce lieu vous exprimer en leur nom et au nom de la France toute leur reconnaissance. Et avec le regard de ceux qui avec nous croient en l’existence d’un Dieu, et à la prolongation de la vie par delà le tombeau nous les voyons se lever, nous remercier et nous dire :
Amis songez à notre sacrifice ! Nous avons versé notre sang pour la défense de la paix, du droit et de la liberté, que notre sacrifice n’ait pas été inutile ! Continuez l’œuvre pour laquelle nous avons souffert jusqu’à la mort : et avec e poète nous leur répondrons : Quel que soit le moment, si dur que soit l’ouvrage, Aimons comme eux la France et comme eux servons la, Afin que tous ses fils, dans le calme ou l’orage, En se frappant le cœur disent : LA France est là !
Malgré la solennité de la cérémonie les applaudissements éclatent de toutes parts.
A ce moment la musique joue Au drapeau ; puis M. Georget faut l’appel des vingt-neuf enfants d’Orval disparus au cours de la tourmente et par vingt-neuf fois M. Belleville de l’Union des Mutilés, Combattants et Mobilisés de St-Amand, chevalier de la légion d’honneur, répond « Mort pour la France ».
M. Bouille, maire d’Orval, prend alors la parole et prononce le discours suivant :
Monsieur le Préfet,
Mon premier mot sera pour vous remercier d’avoir bien voulu apporter du gouvernement de la République. En vous adressant ces remerciements je suis l’interprète de ces familles elles-mêmes de la population que j’ai l’honneur de représenter.
Mes chers compatriotes,
Une émotion profonde me saisit en inaugurant ce monument que vous avez décidé d’élever aux enfants d’Orval morts pour la France. Je puis dire que tous vous avez apporté votre peine, puisque tous vous avez contribué à l’édifier.
Il y a trois ans, c’était la fête du retour ; aujourd’hui c’est la fête des morts ; aussi vous pressez-vous en foule pour apporter l’hommage de votre reconnaissance à ceux qui ne sont pas parvenus.
Car si notre gratitude doit aller éternellement vers les survivants de la grande guerre, combien plus émus, plus intense encore doit elle subsister pour ceux qui ont donné jusqu’à leur existence.
Dormez petits soldats ! Depuis les premiers jours d’août 1914, où fut lancé le cri d’alarme de la patrie en danger, nous les avons suivis avec anxiété.
Nous assistons à leur départ, dans les trains chargés de fleurs qui les conduisent à leurs dépôts ; ils chantaient.
Nous les accompagnons par la pensée sur les champs de bataille ; Charleroi, la Marne, l’Argonne, les Flandres, l’Artois, la Somme et la Champagne évoquent en nous les souvenirs les plus cruels ; enfin Verdun, où ils font à la patrie un rempart de leurs poitrines ; et Salonique, où ils endurent les souffrances d’un autre genre.
Pendant plus de 4 ans, ils ont vécu dans l’eau et dans la boue, souffrant de la soif et de la fain constamment sous les gaz ou sous les bombardements les plus violents.
Enfin ! on les a eus. Les hordes allemandes étaient bousculées et acculées à la retraite. La victoire restait à la France, mais à quel prix !
Le souvenir de cette journée mémorable de l’armistice est encore présent à la mémoire de tous.
Les cloches des églises sonnant à toute volée annonçaient que l’heure de la victoire sonnait, que c’était fini de trembler pour ceux qui là-bas risquaient chaque jour la mort et que l’heure du retour au foyer était enfin arrivée.
Cependant la joie ne pénétrait pas dans tous les foyers ; dans certain, une place parfois plusieurs hélas ! étaient vides à jamais.
Dans combien d’autres, ce jour était un jour d’angoisses ; on avait l’espoir de revoir celui dont on était sans nouvelles depuis longtemps. Il semblait que tous les disparus allaient soudain annoncer leur retour. Hélas ! les jours, les mois ont passé ; il ne sont pas revenus.
Nous avons tenus à ce que ce monument portent les mots : Honneur et Patrie.
Ah ! oui ! Messieurs.
Honneur au poilu français, soldat incomparable qui a sauvé pendant la grande guerre les situations éritiques et fait l’admiration de nos alliés et du monde entier !
Honneur et gloire éternelle à nos quinze cent mille morts dont le sacrifice nous a permis de vivre libre s!
Notre modeste commune a été particulièrement éprouvée.
29 enfants d’Orval ont sacrifié héroïquement leur vie pour le salut du pays. Leurs noms sont gravés sur ce monument dressé face à l’Allemagne mais ils sont bien plus encore gravés au fond de nos cœurs.
Pauvres enfants ! ils étaient presques tous des travailleurs de la terre, rudes pour eux-même, après au travail, soldats d’élite, tenaces dans leur devoir, de cette race berrichonne qui fait venir le pain et qui sauve la patrie.
Et maintenant, je m’incline avec respect vers ceux qui savent que de la mer du nord à l’Alsace repose un être aimé qu’ils ne reverront plus ; rien ne peut atténuer leur douleur mais je tiens à leur affirmer, malgré tout, que ceux qu’ils pleurent eurent de toutes les morts la plus belle, qu’ils l’ont affronté sans peur, dans un élan d’enthousiasme patriotique, et que leur sang n’a pas été versé en vain.
Braves soldats, vous laissez dans nos cœurs autant de fierté que de douleur ; que vous reposiez ici dans le cimetière d’Orval ou sur le champ de bataille, sur vos tombes nous jurons de travailler pour la France toujours plus fraternelle, car c’est vous qui l’avez sauvée.
C’est à nos petits soldats, Messieurs, que nous devons d’être resté Français, à l’issue de la plus effroyable des guerres ; c’est grâce à eux que nous pouvons redresser la tête devant la bête allemande qu’ils ont terrassée.
A ces enfants des écoles qui sont devant nous, qui sont notre espoir je dis : souvenez-vous.
Lorsque nous serons divisés, réunissons nous, mes chers compatriotes, autour de ce monument, et pensons à nos morts ; la main dans la main, oublions nos querelles de nos rancunes.
Je compte sur les dames d’Orval pour venir de temps à autre, déposer ici quelques fleurs en embaumer ainsi le souvenir de nos chers disparus.
Je remercie M. le Président du Comité de la remise qu’il vient de faire à la commune du monument que nous inaugurons.
J’accepte ce dépôt sacré que je transmet à mon successeur.
Enfant d’Orval, morts pour la Patrie !! au nom de la municipalité je vous adresse nos pensées les plus chères. Je vous assure de notre impérissable reconnaissance.
Honneur à vous ! Vice la France ! Vice la République !
Les bravos redoublent et deux tout jeunes enfants offrent au sympathique et dévoué Maire une gerbe de fleurs, qu’il déposera plus tard au pied du Monument.
M. le député Valude s’avance alors près de la grille du monument er prononce à sont tour un discours dans lequel, s’adressant aux morts pour la Patrie, il développe cette pensée ; Vous êtes morts pour l’Humanité.
Enfin M. Rischmann, Préfet du Cher, clot la série des discours en exaltant les vertus de ceux qui sont morts pour que la France vive et en assurant leur familles de la sollicitude du gouvernement.
Un de ces vieux si éprouvé par la guerre qui soustrait à son affection un et peut-être deux fils, oublie sa douleur ravivée et crie « Vice la république ».
La musique termine la cérémonie par la Marseillaise que chacun écoute tête nue.
Pendant que M. le Préfet, M. le Sous-Préfet, MM. Valude et Peloux se rendent chez le curé d’Orval pour voir la célèbre croix de St Louis et prendre un petit Quincy d’honneur, la foule se rassemble près de l’école où l’Union Musicale, sous l’habile direction de son chef, M. Bonnelle, donne deux des plus beaux morceaux de son répertoire.
D’autres admirent le Monument très sobre, mais très bien dans sa simplicité, conçu par M. Pison, architecte.
A 16 heures tout est fini ; notre société de musique, qui vraiment se dépense sans compter, reprend le chemin de la ville emmenant dans son sillage la délégation de l’Union des Combattants et une bonne partie de la foule.
La jeunesse d’Orval eut un moment de désappointement car elle espérait terminer la journée au bal ; mais M. le Maire a sagement interdit tout bal ce jour là et c’est très bien ainsi. La cérémonie qui venait de s’achever avait évoqué trop de peines et de douleurs pour qu’on pût l’oublier aussi rapidement.
En résumé l’inauguration du Monument aux Morts d’Orval, dont l’honneur revient principalement au Maire, au Président du Comité et à M. Guillaumin, se déroula dans un cadre approprié aux circonstances sans rien qui détonnât et les organisateurs ont droit aux plus vifs éloges.
Source: L'e nouvelliste du centre du 19 novembre 1921. Transcription Monumentsducher1418