De nombreux discours ont été prononcés. Nous donnons ci-dessous celui de M. Plaisant, député, le seul qui nous soit parvenu:
Monsieur le maire,
Messieurs,
Ceux de Crézancy qui sont tombés pour la Patrie reçoivent aujourd’hui l’hommage solennel que la république décerne aux plus nobles de ses enfants ; leurs noms sont inscrits dans le marbre, leur souvenir est évoqué devant la jeunesse des écoles, et si vos magistrats, vos conseillers et vos élus sont invités à se joindre à cette fréquente assemblée, c’est afin que les représentants les plus qualifiés laissent incliner devant ces morts immortels toute la majesté de la souveraineté populaire.
Nous accomplissons ce rite sacré, la pensée pleine d’une méditation où la douleur le dispute au respect. La consolation des mères, des femmes, des vieillards et des orphelins passe notre effort, mais l’amertume d’un tel chagrin nous rappelle dans chaque circonstance la grandeur du sacrifice qui a été consenti par les citoyens et la réalité de ces dommages inexpiables que la France a subis dans son plus beau trésor, dans la chair inestimable de ses fils et dans l’âme divine de son peuple.
Aussi bien le monument par lequel vous avez voulu commémorer ces pertes et ces épreuves est d’une pierre plus dure que le souvenir des générations, et, pour la gloire de la cité, vous avez entendu y enclore une idée qui s’élève au dessus des vestiges de l’individu. Ces enfants qui ont donné leur vie attestent qu’il faut honorer la patrie plus qu’une mère, plus qu’un père, qu’elle est plus respectable, plus sacré que toute chose au monde, et que de toutes les croyances, elle tient le rang le plus éminent au jugement des hommes et à la face de la mort. Selon la noble parole du philosophe, il faut la vénérer, lui céder, lui complaire, il faut ou la faire changer d’idée comme citoyen, ou exécuter ce qu’elle ordonne comme soldat, souffrir même paisiblement ce qu’elle veut qu’on souffre, se laisser, s’il le faut, frapper, enchaîner ou mener au combat pour y être blessé ou pour u mourir.
Aussi dans la vie sociale, l’homme doué des véritables vertus viriles ne doit ni se dérober, ni reculer, ni abandonner son poste mais au combat ou sur la place publique par tout le devoir est exécuter ce qu’ordonne l’Etat et la Patrie, ou sinon de la faire changer d’idées par les moyens légitimes.
C’est parce que vous avez ce sens élevé des obligations civiques que, dans une démocratie victorieuse, où les citoyens sont les maîtres suprêmes vous entendez que vos volontés soient respectées.
Le premier devoir de vos mandataires est de contraindre le gouvernement à exécuter vos volontés, non seulement vis-à-vis de l’ennemi vaincu, dont la vocation est d’obéir, mais encore à l’égard des alliés et des puissances associées qui ne peuvent pas avoir d’autre ambition que de satisfaire à leur engagement.
Les résultats de la dernière conférence de Paris ont fait ressortir ces difficultés que comportait la réalisation de ce dessein d’entente même avec nos amis britanniques qui ne paraissent pas avoir perçu toute l’importance des garanties qu’une France continentale doit exiger du monstre germain pour diminuer les risques d’une nouvelle guerre, spectre hideux qu’accompagnent des images d’horreur et de désolation.
Du moins pouvons-nous approuver jusqu’ici le gouvernement d’avoir maintenu la thèse française au sujet de ka Haute Silésie, intacte au milieu de la discorde. Mieux encore, nous devons lui donner notre appui, affirmer que tous français sont derrière lui chaque fois qu’il refusera à des transactions sur ces droits d’autrui qui n’aboutiraient qu’à des compromissions aux dépens de la sécurité nationale. Encore que nous puissions regretter que le conseil suprême ce se soit pas arrêté à une solution immédiate toutefois, il nous plait de croire que le renvoi devant la société des nations assurera, dans le partage de la Haute Silésie, le triomphe de la doctrine française qui est celle de la justice, celle du libre droit des peuples, celle au nom de laquelle ces enfants sont tombés. Comme le traité de Versailles exige que la société des actions se prononce à l’unanimité, il nous appartient en définitive de faire respecter la volonté du peuple en adoptant une décision qui sauvegarde la dignité de la France et ses intérêts vitaux.
Les intérêts de la France ils se confondent avec ceux de la paix. Le sculpteur, mon bon ami Thebault qui a taillé cette image, pour affirmer dans la commune de Crezancy la remembrance perpétuelle de ceux qui ont lutté jusqu’au dernier souffle, a représenté un soldat au repos. Ce n’est pas en vain qu’un tel signe orne votre place publique.
Oui la France veut le repos ; la France a besoin du repos pour le travail. La France aime passionnément la paix. La France héritière de la civilisation antique, institutrice des peuples dans les idées de liberté et d’indépendance, dépositaire des droits les plus précieux de la conscience humaine, lumineuse du labeur et de l’intelligence qui lui permet d’offrir un front serein et un même regard d’amour à tous ses enfants.
Pour rester dans l’harmonie de ce symbole que vous avez dressé devant nous et que vous nous avez invités à saluer d’une parole inaugurale, il incombe à ceux que vous avez investis de la confiance publique de suivre une politique à longue portée, de ménager les générations à venir, de surveiller d’une constante vigilance les intérêts de la sécurité nationale afin que les hommes qui travaillent, qui peinent et qui aiment, jouissent des bienfaits de la prospérité dans la paix.
Source: L'Avenir du Cher N° 1917 du 28 Aout 1921 - Transcription Monumentsducher1418