Discours...
Discours prononcé à Nérondes, par M. Normant du Coudray, maire de Nérondes, à l’inauguration de la plaque commémorative des enfants tombés pour la Patrie.
Mesdames, mes chers concitoyens ;
Vous aussi mes jeunes amis,
Les jours d’angoisse ont passé, car le temps des combats n’est plus, et la victoire est à nous ; aussi, il importait à la commune de Nérondes de marquer sa reconnaissance à ceux de ses enfants qui, au cours de cette guerre déchaînée contre nous , ont combattu pour la Patrie jusqu’à mourir pour elle.
C’est pourquoi le Conseil municipal, répondant au désir de la population toute entière, a fait apposer la plaque commémorative au pied de laquelle nous sommes réunis et dont en cet instant, je fais la remise solennelle à tous les habitants de la commune. C’est un dépôt sacré que les générations futures devront se transmettre les unes après les autres et conserver comme un flambeau qu’il ne faudra jamais laisser s’éteindre.
Le gloire, a-t-on dit, ne s’écrit pas sur le sabre, pas plus que sur la poussière du chemin, pour être effacée au gré du vent ; pas davantage il ne faut la confier rien qu’à la fragilité de la mémoire des hommes. La gloire, pour n’être pas périssable, doit s’inscrire sur le bronze ou bien sur le marbre.
C’est ce que nous avons fait.
Dorénavant, sur ce marbre, pour toujours profondément, comme dans nos coeurs, seront gravées la vaillance de nos enfants et la reconnaissance infinie que nous devons mesurer à la grandeur de leur sacrifice.
La place qu’il occupera est la place d’honneur de la commune ; c’est la façade d’une maison toujours ouverte toute grande à chacun de nous, car elle représente notre maisons de famille.
Là, en effet, au fil de la destinée, est tenu le compte exact de nos joies, de nos peines, de nos soucis, de tous les évènements ou de tous les fardeaux de l’existence.
Jusqu’à présent, il y manquait d’inscrire la gloire de nos enfants ; aujourd’hui, mettons-nous tous à l’écrire ; en l’écrivant, que notre fierté soit sans bornes, car la gloire du soldat, c’est le prix du courage, hélas ! Presque toujours augmenté du prix du sang, et ces deux monnaies-là, qui sont à la portée de tout le monde sans distinction, des riches comme des pauvres, des petits comme des grands de la terre, ont été dépensées par les nôtres à pleines mains, ils les ont jetées à la c
volée, sans mesure et sans jamais compter.
Inscrivons-la donc, cette gloire, en lettres de feu pour qu’elle soit toujours illuminée, et inscrivons-la bien haut, parce que, dans son immensité, elle planera au dessus su niveau de toutes nos têtes.
Aussi, à l’avenir, pas un de nous ne passera ici sans que, d’instinct, malgré lui, obéissant comme à une force mystérieuse et irrésistible, son regard ne soit aussitôt attiré par ce signe de notre reconnaissance.
Il embrassera d’un seul coup d’oeil cette liste magnifique de héros, nouvelle phalange sublime pareille à une autre qui appartient à l’histoire depuis plus de deux mille ans, et qui toutes les deux furent composées d’enfants tous partis d’un même pays et où pas un seul d’entre eux n’y est revenu.
Alors, quoi qu’il fasse, le cours de ses pensées sera subitement et pour un instant détourné, et toujours il lui faudra rendre à ces braves enfants un hommage qui partira d’abord des yeux, souvent en même temps de ces lèvres, et qui tout de suite tombera comme un poids dans le fond de son coeur. De tout temps, le merveilleux et le sublime ont commandé comme les maîtres impérieux à nos sentiments et à nos pensées les plus intimes.
Nous qui, en ce moment, avons l’âme toute pleine de la majesté du devoir accompli par ces braves, évoquons leur souvenir en répétant tous ensemble un mot désormais historique prononcé au bois d’Ailly ; ce fut un appel d’outre-tombe jeté dans une épouvantable mêlée aux vaillants soldats du 95°, pendant qu’ils tombaient tous les uns après les autres, presque tous étaient des Berrichons et parmi eux se trouvaient quelques enfants de chez nous.
Debout les morts !
Debout les morts, dont les noms sont inscrits au-dessus de nos têtes ! Levez-vous de tous les champs de bataille où vous avez succombé ; de ces champs de bataille si imprévus, si incroyables, qu’on ne pouvait les imaginer : Victimes de l’air, victimes de la mer et des profondeurs de la mer, victimes de la terre et même des entrailles de la terre !
Accourez tous, petits soldats de Nérondes, de Milly, de Verrières, de Dejointes ; petits soldats de tous les coins de la commune, où vous avez promené gaiement, en chantant la candeur de votre enfance, les illusions de votre jeunesse et les espoirs humbles et modeste des avenirs que vous prétendiez ! Accourez tous, descendez au triomphe et venez assister au débordement de nos coeurs remplis d’une émotion qu’en cet instant, nul de nous n’est capable de contenir !
Vois aviez le privilège de la jeunesse ; pour vous, il fut écrasant et il ne dura que l’espace d’un moment juste le temps de sauver la Patrie en lui offrant le sacrifice d’une vie qui connut à peine l’aurore, mais qui cependant, fut magnifiquement éclairée par le soleil de la gloire.
C’est ainsi qu’à peine à l’âge où vous veniez de quitter les jeux et les ris de l’enfance, vous avez barré la route aux barbares ; que vous avez pour toujours dissipé les ténèbres épaisses qu’ils tentaient de répandre sur le monde.
Comme des géants, vous vous êtes battus pour le droit à la vie, le droit à la liberté, vous avez été le salut inespéré de l’humanité toute entière.
Gloire immortelle vous soit rendue !
A présent, la paix, qui est votre œuvre, règne parmi nous ; pour en goûter les fruits ; si doux à cueillir, mais difficiles à atteindre, nous avons le devoir suprême de nous serrer bien près les uns contre les autres et de nous tenir tous par la main.
Il nous faut remplir, ce devoir, en répit des ronces du chemin qu’il faut suivre pour aller jusqu’à lui.. Quel est-il à côté de celui accompli par ceux qui ne sont plus là et par ceux qui n’en reviennent pas de se trouver encore ici !
Dans cet espoir, nous allons inaugurer cette ère de nouvelle prospérité en commençant, dans quelques jours, le plus noble et le plus majestueux des travaux de la paix : c’est la moisson.
La gerbe sera levée par des hommes qui, avant d’être de vaillants soldats, furent de bons laboureurs et qui surent aussi bien manier l’épée, la grenade ou le fusil, qu’ils savent manier la faulx, le fléau ou les deux mancherons de la charrue.
Après le rude labeur de la journée, ils regagneront paisiblement leur maison et, dans le calme infini des grands soirs d’été, leurs enfants sur les genoux à l’heure toujours trop courte des joies du foyer, si naïves, toujours les mêmes et pourtant toujours si douces, ces véritables revenants de la guerre, revenant de la mort, diront l’histoire du frère, du parent, de l’ami, qui fut malheureux au combat.
On parlera de sa gloire, sous le chaume, bien longtemps.
Puis, sans jamais se lasser de la répéter, comme pour les autres, sans jamais se lasser de l’entendre, ils reprendront cette nouvelle épopée, plus grande que toutes les autres et dont, comme tous ceux d’ici, ils furent les héros magnifiques. Il s la revivront dans la sérénité du plus grand des devoirs accompli toujours par eux sans effort, tout prêts à recommencer s’il arrivait que, dans nos champs, nos plaines, nos bourgs et nos villages, le clairon vienne jeter encore une fois ses notes éclatantes de l’appel aux armes.
Et ils diront la splendeur de ceux qui, en souriant à la Patrie, à la Gloire, à la Victoire, à la justice, à la Vérité, à la Charité, à la Liberté, tranquillement, stoïquement, à la manière antique décidèrent de sacrifier la joie de vivre à vingt ans pour que la paix règne par le monde et que l’existence soit désormais meilleure, plus facile, moins amère, toujours fraternelle dans notre chers pays de Nérondes et dans le si beau et si doux pays de France.
Source: Le Journal du Cher du 17 juillet1920. Transcription Monumentsducher1418