Discours de M. Marcel Plaisant, député.
Monsieur le maire,
Messieurs,
Autant l’hommage que nous rendons aux enfants tombés pour la Patrie apparaît comme l’acte d’un culte public dont la fréquence ne pourra pas affaiblir la sincérité, autant ne nous lasserons nous jamais de la renouveler, afin de répondre par la ferveur et par la fidélité de notre souvenir à un sacrifice qui domine si bien par sa grandeur la piété des individus, qu’il élève nos âmes au dessus des volontés périssables jusqu’à la contemplation des idées immortelles.
Certes, ils sont passés les jeune gens de la commune qui, un jour, ont quitté le foyer, les champs et les vignes pour former les armées qui garnissaient nos frontières, ils ont passés ces jeunes gens, les plus beaux les plus forts, gonflés de la plus noble sève, décorés de votre amour et de vos espoirs, et ils ont offert ces dons splendides à la fortune des batailles, ils sont passés ces hommes et leur image chérie désormais absente de nos matins lumineux s’égare dans la sauvage mêlée des combats et s’évanouit dans un crépuscule de sang et de gloire.
Ils sont passés mais la France nous reste.
Et comme nous évoquons dans ce jour la mémoire des héros, comme nous mesurons l’étendue de nos pertes, et qu’invinciblement remonte à nos cœurs toute l’amertume du chagrin, il ne faut pas moins que le spectacle de la Patrie victorieuse et de la liberté sauvée des barbares pour apaiser la douleur devant la majesté de la cause qui nous a ravi ces enfants.
Que s’il est toujours d’une dignité suprême à un soldat de tomber pour le Pays, il est à un français d’une fortune qui dépasse la commune fin des autres mortels d’offrir sa vie à une patrie qui porte dans sons flanc les destinées de la civilisation, et qui éclaire le monde de toutes les flammes qui ont embrassé des peuples, de tous les rayons qui ont illuminés l’âme humaine. Le représentant d’une grande puissance étrangère nous disant dernièrement que la France avait été la forge de l’humanité, laissant entendre par là que toutes les idées de liberté, d’égalité, d’émancipation et de solidarité sociale étaient sorties de l’ardent creuset de la révolution pour servir d’armes et de bélier d’arrain à tous les opprimés contre les tyrannies de ce monde.
Héros, vous avez été les forgerons de la république.
Ah ! Les beaux et les braves forgerons de labeur quand vous offriez vos torses et vos muscles tendus à l’éclat de ka fournaise qui vous revêtait de la pourpre du feu ; forgerons de gloire quand vous placiez vos glaives sur l’enclume et qu’à la frappe du marteau jaillissaient les étincelles pour couronner vos fronts d’étoiles d’or. Et vous maintenant jeunes hommes et citoyens vous êtes les forgerons de la paix. A vous la grande œuvre qui exige la même abnégation dans le sacrifice, le déploiement des mêmes vertus et qui demande peut-être encore plus d’énergie de persévérance, et de sang froid dans l’exécution des desseins qui doivent assurer la restauration de la France.
Les principes qui ont rallié pendant cette longue guerre tant de nations étrangères autour de nos drapeaux, et au nom desquels nous avons triomphé de notre ennemi constituant nos garants, devant toutes les puissances des sentiments qui nous animent dans l’exécution du traité de Paix. C’est contre l’impérialisme allemand, contre la prétention germanique à l’hégémonie européenne que la république a combattu pendant plus de quatre ans : c’est par conséquent en dehors de toute conception impérialiste, loin de toute tendance à l’hégémonie que la France entend réaliser la pais suivant l’ordonnance qui a été fixée à Versailles. Comme il n’est pas de germe plus fécond en guerres futures que celui qui naît d’une terre européenne, travaillée et labourée par les excès du nationalisme nous voulons une paix véritable qui soit sincèrement désirée par les Gouvernements, une pais sereine, obtenue par le respect mutuel des souverainetés, une paix durable basée sur l’accomplissement loyal de toutes les obligations qui incombent aux membres de la société internationale.
Mais une telle paix est le rêve des travailleurs du monde entier est inséparable de la justice. Or, un précepte antique nous apprend que « la justice est la constante et perpétuelle volonté d’attribuer à chacun son droit ». La paix ne sera donc établie sur un fond durable vis-à-vis de l’Allemagne que lorsqu’elle aura assuré les réparations imprescriptibles du droit.
Nous nous plaisons à croire que le gouvernement d’Empire se tient prêt désormais à remplir vis-à-vis de la France meurtrie, son inéluctable devoir. Peut-être les 200 000 soldats qui sont sur le Rhin ont-ils parfait sa conviction. Mais si l’Allemagne n’acquitte pas régulièrement les états de payements qu’elle a contresigné, si elle poursuit des armements clandestins et entretient l’incendie dans l’Europe, tandis que retomberont encore plus lourd sur sa victime les impôts et les charges que nous supportons pour réparer les dévastations de l’agresseur, ne doit-on pas reconnaître alors que la volonté d’attribuer à chacun son droit est rompue, que la justice est éteinte, que la paix est encore une fois menacée.
Si nous voulons la paix sachons dons conserver un esprit ferme et vigoureux dans la justice.
Ceux dont les noms sont inscrits sur cette pierre ont exhalé leur dernier soupir dans un acte de foi, tandis que la justice souveraine passait retenant un instant de sa grande aile la voile qui s’est abaissé sur leurs yeux. Où qu’ils reposent, où que soient leurs corps déchirés, leurs mânes hantent ces lieux ; elles sont présentes, elles flottent autour de cette pierre car elles répondent à l’appel des mères puis le soir, comme elles se plaisent aux calmes et douces lignes de notre belle Loire, elles vont se perdre dans le val aux ombres violettes dont l’harmonie convient au sommeil des morts.
Chers, amis, excusez le bruit de nos paroles. Nous ne sommes que des passants et vos gestes domineront le temps. Mais nous avons voulu élever nos cœurs vers vous tandis que vos âmes restent invisibles derrière cette divinité, dont les draperies frémissantes au souffle des espoirs nouveaux couvrent son corps de femme toujours épanoui d’une aussi belle jeunesse que l’immortalité de votre gloire.
source: L'avenir du Cher N° 1907 du 13 Juin 1921 Transcription Monumentsducher1418