Discours...
Graçay. Inauguration du Monument. Après le discours de M. Jouanin, que nous avons reproduit hier, M. Allouis, vice-président de la Société de secours mutuels des anciens combattants du canton, a pris la parole en ces termes:
Messieurs les Membres du Comité, Mes chers camarades,
C'est pour moi un honneur auquel je ne me déroberai pas, de représenter aujourd'hui la Société des anciens Mobilisés du canton de Graçay.
En effet, comme combattant de la grande guerre, comme soldat ayant enduré toutes les souffrances qui en découlent, je croirais manquer à mon devoir si, en ce jour, je ne venais pas apporter à la mémoire de mes frères d'armes, tombés au champ d'honneur, un suprême souvenir et l'assurance d'une éternelle reconnaissance.
Nous qui, comme tous ces héros, victimes de la plus impitoyable des calamités qui soient tombées sur notre pays, avons vécu les même souffrances, les même souffrances, les mêmes privations, nous savons mieux que tout autre de quel sacrifice physique et moral leur mort fut accompagnée.
Oh! vous tous qui m'écoutez, vous ne saurez jamais de quel degré d'abnégation vos fils, vos époux ou vos frères, ont fait preuve dans cette terrible tourmente. Je ne puis concevoir de phrases qui rendent exactement tout ce que leur sacrifice avait de sublime et de désintéressé.
Quand, dans ce petit coin de tranchée où l'obus perfide est venu les frapper, croyez-vous que nos morts pensaient à eux-mêmes?... Non. Mères et épouses, leur idée était bien plus élevée et bien plus noble: leur suprême souvenir allait à vous!... Combien de fois il m'est arrivé de surprendre, en faction devant le Boche, le petit poilu en rêverie, une lettre à la main... la lettre de la mère, de l'épouse, de la fiancée peut-être?
Et à ce moment où leurs pensées communiaient avec celle de leurs proches, la balle traîtresse les a fauchés, emportant avec elle l'âme de ces héros.
Aussi, mes chers amis, ce monument, symbole de leur héroïsme, représente pour moi la moisson de gloire que nos 1.500.000 morts ont récoltée depuis l'Yser jusqu' à la Meuse. C'est de leur sang, de leur jeunesse, de leur courage que nous vivons en ce moment.
Nous leur devons tout! Notre vie notre bien être, notre liberté!...
Oh! nous ne devrions jamais oublier qu'ils nous ont montré notre ligne de conduite; que riches et pauvres ont sacrifié tout ce qu'ils avaient de plus cher pour assurer notre avenir! Et dans ces armées républicaines, lorsque toutes les classes de la société se côtoyaient, ne croyez-vous pas qu'ils nous ont donné la plus belle et la plus pure des leçons: celle de s'aimer les uns les autres.
Quelle belle formule! Quelle idée sublime! Qui que nous soyons, ou noble ou artisan, soyons unis dans cette merveilleuse pensée que ces morts nous ont léguée. C'est dans cet ordre d'idée que je salue, au nom de nos camarades, les 110 morts de notre ville.
Nous autres, mobilisés, n'oublierons jamais leur sacrifice: la gloire de nos deux pays, Graçay et Saint Outrille, en est toute tissée! A nous de la conserver intacte.
A ce devoir nous ne faillirons pas.
M. Dardier, membre du Comité du Monument, prononça ensuite ce discours:
Mes chers concitoyens, Ceux qui, pieusement, sont morts pour la Patrie. Ont le droit qu'à leur cercueil la foule vienne et prie. Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau, Toute gloire près d'eux passe et tombé éphémère, Et comme ferait une mère. La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau.
Victor Hugo, en léguant ces paroles sublimes à la postérité, a entendu que le culte des morts soit pour les hommes un impérieux devoir et que la reconnaissance envers ceux qui étaient morts pour la Patrie se manifeste par une vive admiration et de la manière la plus élevé en la plus expressive. La France a compris, dès le premier jour, la mission qui les incombait, à la fin de cette guerre d'extermination, et les populations de Graçay et de Saint Outrille n'ont pas été les derniers à reconnaître le vide qui s'était produit autour d'elles et le besoin qu'elles ressentaient de se rappeler à elles mêmes et de signaler aux générations futures les vaillants soldats qui étaient sortis de leurs rangs pour tomber glorieusement en défendant le sol sacré du pays. De ces sentiments est né le monument que nous inaugurons aujourd'hui, œuvre puissante du sculpteur Popineau, notre compatriote.
Messieurs, la lutte fut âpre et longue. Ceux qui restaient dans leurs foyers après avoir vu partir un ou plusieurs des leurs vécurent des heures bien douloureuses. L'ennemi était implacable et marchait à pas de géants Son organisation dévastatrice, sa méthode parfaitement réglée dans l'invasion, aboutissaient à des résultats foudroyants.. L'inquiétude naissait dans les cœurs: la confiance était émoussée.
Ah! l'ennemi que la France avait devant elle était d'autant plus redoutable qu'il avait, depuis longtemps, préparé et voulu cette guerre. Et nous, Français, qu'avions nous à lui opposer? Une armée de héros certes, puis la pureté de nos sentiments, le caractère pacifique qui était bien le nôtre, pas de haine, pas d'envie du bien de nos voisins. Ce n'était, hélas, pas suffisant.
La bataille de la Marne fut un doux rayon de soleil dans la tempête. Nous nous souvenons qu'à cette époque les porte-paroles de l'opinion s'écrièrent: "La retraite de la Marne, c'est la victoire de demain, c'est la défaite de l'Allemagne, c'est le chute certaine". L'opinion publique prédisait juste. Mais cette victoire définitive, déjà espérée en 1914, combien de temps fallut-il l'attendre? Combien de sacrifices durent s'accomplir encore avant de voir luire ce jour tant souhaité de l'armistice!
La retraite de la Marne fut, pour la France, une période de ressaisissement. les énergies individuelles se manifestèrent; la volonté de vaincre s'ancra dans le coeur de nos vaillant défenseurs, et tous les Français n'eurent plus qu'un but: forger les armes nécessaires pour refouler le vaincre l'ennemi; donner ainsi à nos soldats les moyens de lutter, et de frapper à mort cet ennemi féroce, jaloux de nos biens et de notre liberté.
En cette circonstance et quand nous disions que les énergies individuelles se manifestèrent, il convient de rendre un nouvel hommage à ceux que nous honorons aujourd'hui, en leur appliquant tout d'abord cette initiative, cette recherche dans les meilleurs moyens de combattre, cette volonté de vaincre, ce qui fut cause pour beaucoup d'entre eux de leur fin héroïque et sublime. Nous n'oublions pas de rendre également un même hommage, bien mérité aussi, à nos glorieux mutilés, à tous ceux enfin dont l'initiative hardie a rendu service à la cause sacrée et dont ils ont été les premiers à souffrir.
Messieurs, la guerre de tranchée fut longue, énervante et combien meurtrière. Puis vint la lutte devant Verdun. Nos espoirs baissaient, alors que nos régiment fondaient dans une tourmente sans précédent dans l'histoire. Ce fut un moment, glorieux, mais combien tragique. Après tant de sacrifices, après la manifestation de tant de mâles courages, la France, allait-elle sombrer? Nos vaillants d'entre les vaillants allaient-ils s'incliner devant le féroce ennemi? Non, cette humiliation, ce désastre, devaient nous être évités. Grâce au sacrifice de ceux que nous honorons aujourd'hui, grâce à la ténacité de tous nos admirables poilus. La France restait maîtresse de ses destinées. L'envahisseur était bloqué définitivement, l'heure du destin allait sonner.
Cette espérance se réalisait enfin le 11 novembre 1918. Si, à ce moment, l'ennemi n'était pas complètement hors de nos frontières, il avait cependant cédé devant la marche en avant de nos soldats et abandonnant armes et matériel, il rentrait chez lui, tournant sa fureur contre ceux qui les avaient promis nos dépouilles et qui ne lui donnaient que la défaite et la honte.
Messieurs, en élevant un monument à la mémoire de nos glorieux soldats, nous avons voulu perpétuer leur souvenir, rappeler leur courage héroïque et nous inspirer de leurs vertus. N'oublions pas que l'union qu'ils scellèrent de leur sang sur les champs de bataille, fut cause de la Victoire, sauvant ainsi notre pays de la déchéance et de la ruine. Rappelons-nous, dans les actes de la vie, de cette union sacrée qui fut la sauvegarde de la France. Efforçons nous d'écarter toutes discussions stériles, tous dissentiments entre nous; groupons, au contraire, nos féroces, notre volonté, pour aboutir à plus de justice, plus de confiance réciproque et réunissons nos efforts pour obtenir les améliorations sociales dues après une pareille calamité. Ce faisant, nous honorons encore nos glorieux morts, tout en contribuant à la paix publique et à la grandeur de la France et de la République.
Un dernier mot: L’œuvre de reconnaissance, décidée en 1919, sur l'initiative de notre ami Petit, est définitivement résolue aujourd'hui. Que le monument que nous admirons en ce moment soit sur Graçay ou sur Saint Outrille, peu importe! Il est sur un sol bien français. C'est à la ténacité généreuse et désintéressée du grand honnête homme que je tiens à remercier et à saluer au nom du Comité, M. Jules Jouannin, que nous le devons.
Nous publierons demain le discours de M. le colonel d'Oullenbourg.
Source: Le Journal du Cher du 5 mai 1922. -Transcription Monumentsducher1418