Discours...
Graçay. L'inauguration du monument aux morts de la guerre. Voici le discours prononcé par le lieutenant Colonel d'Oullenbourg à la cérémonie de Graçay, dimanche dernier:
C'est avec une émotion appuyée d'une légitime fierté que j'ai l'honneur, au nom du général commandant le corps d'armée, de saluer le souvenir élevé aux cent un soldats des communes de Graçay et de Saint Outrille tués pour la défense et la Victoire de la Patrie.
Je dis la défense, car les fauteurs de la guerre, terrifiés de l'effondrement de leurs odieuses chimères, cherchent à rejeter sur d'autres l'effroyable responsabilité. Qu'il me suffise, pour les confondre, de mettre la patience, les concessions de la France, en face des provocations. Ce serait trop long d'énumérer toutes les preuves.
Je dis la Victoire car, mauvais joueur comme il est mauvais payeur, l'Allemand, rassuré, la conteste maintenant. Non, chers morts, nous l'avons eue la Victoire, et la meilleur réponse à faire à l'adversaire serait celle-ci: "Si vous n'aviez pas été vaincus, combien vous seriez plus méprisables de nous avoir cédé ce qui vous tenait tant au cœur et de nous avoir laissé franchir, occuper votre Rhin si célébré."
J'ai dit mauvais joueur, mauvais payeur, mais en ne mésestimant pas la puissance guerrière de l'ennemi, nous grandissons encore nos héros.
Énumérer les efforts, retracer toutes les glorieuses citations de vos disparus, serait une tâche trop longue.
Le soldat français, merveilleux aide pour ses chefs, s'est plié à toutes les circonstances, à toutes les conceptions. Pendant une longue retraite, il a maintenu la cohésion: arrêté avec l'ordre de ne plus céder de terrain et d'attaquer, il a refoulé du même coup de boutoir six armées ennemies... Par le froids, par la pluie, plus redoutable encore, il a passé de longs mois à la belle étoile, fabriquant pour les siens ces touchantes bagues faites avec les messagers de mort...Sous un nouveau grand chef, il réalisera, dans des offensives partielles, les buts déterminés et il répétera avec lui: "On les aura!"...Sous le généralissime qui, avec une admirable et clairvoyante volonté, sans relâche, exige qu'on frappe et qui sonne l'hallali, les unités réduites se ruent sur l'ennemi désemparé, ne comptant plus leur fatigue, et dans bien des régiments, des voitures devront amener au Rhin des vainqueurs qui voudraient bien marcher, mais que leurs souliers ont lâchés. C'est dans les étapes de ce glorieux calvaire que nos braves sont tombés... Les uns enlevés d'une mort rapide, les autres dans une douloureuse agonie, sur le champ de bataille ou dans les hôpitaux... Je veux espérer qu'aucun n'est mort, comme certains massacrés, prisonniers et blessés, sur l'ordre de généraux ennemis, renouvellent des horreurs que le Moyen âge flétrissait déjà...Qu’elle angoisse a dû saisir le pauvre petit troupier exécuté ainsi quand dans sa conscience naïve et haute à la fois, il avait la certitude du devoir accompli.
Les uns sont morts le cœur serré d'inquiétudes pour leur Patrie, certains sont tombés la Victoire entrevue, d'autres la tenant.
On me pardonnera au milieu de tous les noms, d'en choisir un pour rendre plus grand, plus respectueux mon hommage aux autres. Je dis; Ragot, tué à la Bassée, le 19 octobre, et une immense émotion m'étreint; c'est que c'est un des miens, tué à quelques mètres de moi, dans la deuxième phase d'une victorieuse attaque, arrachant au général anglais cousin du roi d'Angleterre et à sa division des applaudissements pendant l'action même...Le brave n'a pu jouir de la récompense méritée. Il restait sur le champ de bataille, dont son chef, plus heureux, devait être emporté avec trois balles de mitrailleuse,.. L'insigne qu'il porte a été gagné par le petit soldat et ses camarades.
La participation aux épreuves, le sang confondu sur le même champ de bataille avec celui de votre compatriote, m'ont permis d'exprimer la reconnaissance et le respect que mon général aurait voulu témoigner lui même.
Messieurs, cette réunion, ce monument ne doivent être que l'expression de notre reconnaissance. Seuls, ils ne suffiraient pas =, si le souvenir et cette reconnaissance n'étaient pas toujours dans nos cœurs, avec le conscience que les morts nous ont laissé un devoir double: notre devoir vis à vis de la Patrie.
Que penseraient-ils, ceux que nous pleurons, si leurs souffrances, leurs affres, leur agonie, devaient être inutiles à la France à qui ils les avaient offertes?... Qu'il existe des dissensions, soit mais qu'il n'en existe pas quand l'intérêt de la Patrie est en jeu.
Capitalistes, disent de nous les Russes; conquérants, disent les Allemands. Rien de tout cela... Notre armée n'est là que pour nous assurer de notre propre liberté, à nous de chez qui, il y a un siècle et demi, elle est partie au monde... Là dessus, la contrefaçon est aussi impuissance que la vipère sur la lime.
Que les noms glorieux de nos morts soient toujours présents à la mémoire. Que l’enfant de l'école les connaisse, qu'il soit élevé à respecter ceux qui dans la tourmente ont perdu des leurs...Qu'on lui dise que ce qui était alors sacré l'est encore, le sera pour lui.
Nous aurons ainsi, ses blessures pansées, une Patrie forte.
M'inclinant vers les parents qui les pleurent, j'émets la pensée qu'un jour viendra où leur douleur sera moins amère, car, dans la certitude que le sacrifice n'a pas été inutile, les voiles de la veuve, de la mère sans enfants se nimberont d'une adoucissante auréole faite de respect et de gloire.
Soldat tombé pour la France, pour nous, au champ d'honneur, je vous salue.
Source: Le Journal du Cher du 6 mai 1922. -Transcription Monumentsducher1418