Inauguration...
La commune de Menetou Salon a rendu, dimanche dernier, un émouvant et solennel hommage, à ses 121 enfants morts pour la Patrie, pendant la terrible guerre de 1914 à 1918, à l’occasion de l’inauguration du monument érigé, sur la place de la Mairie, en leur mémoire . Ce monument est l’œuvre, nous l’avons déjà dit, du sculpteur berrichon E. Popineau. Il représente un poilu à l’allure grave et énergique, montant la garde l’arme au pied. Dès le matin, des drapeaux en berne et voilés de crêtes sont hissés aux fenêtres de toutes les maisons ; la façade de la mairie est particulièrement remarquable. Le temps est couvert et paraît vouloir s’associer au deuil de tous.
A dix heures, un service religieux, suivi d’une absoute, est célébrée en présence d’une grosse affluence dans l’église, toute tendue de noir. La musique de Saint Martin d’Auxigny, qui prête son concours, alterne avec un chœur de jeunes gens et jeunes filles dont les chants, bien préparés et bien exécutés, furent des plus goûtés par toute l’assistance. Une allocution vibrante fut prononcée par M. l’abbé H. Getton, enfant du pays, qui sut trouver dans son âme d’ancien combattant, des paroles de consolation à l’adresse des familles éprouvées et montra combien nous devons nous inspirer des sublimes leçons données par nos morts pour travailler dans l’union, à faire une France plus grande et plus belle. Après l’absoute, donnée, par M. le chamoine J. Chapon, curé doyen de Menetou Salon, toute l’assistance monte en cortège aux pieds du monument, déjà tout entouré de gerbes de fleurs déposées le matin par les familles éprouvées. Après un « De Profundis » exécuté en faux bourdons, et au milieu du plus grand recueillement, M. le chamoine Chapon bénit le monument.
Un hymne à la gloire de nos morts et la sonnerie « Aux champs » résonne. La première partie de la cérémonie est terminée.
A midi, un déjeuner intime, présidé par M. Desbrres, maire de Menetou Salon, est servi aux autorités officielles, aux maires du canton de Saint-Martin et aux membres du conseil municipal de Menetou Salon.
A 14h30, route du Château, sous la voûte majestueuse que forment les marronniers qui le bordent, un cortège se forme. Il se met en marche à 15 heures pour se rendre au monument. En tête marchent les enfants de toutes les écoles. Ils sont suivis de la clique de Menetou et de la musique l’Indépendante de St Martin. Aussitôt après, les Pupilles de la Nation, que l’on reconnaît à leur insigne tricolore et à la gerbe de fleurs que chacun d’eux porte
Ils précèdent immédiatement les personnalités officielles : M. Giraud, conseiller de préfecture, représentant M. le Préfet du Cher ; M. Desbarres, conseiller général, maire de Menetou Salon ; M. le commandant Hanguillard, du 95°, délégué pour représenter le général en chef ; MM. Les député Valude et Plaisant ; M. René Depigny, conseiller d’arrondissement ; MM. Les maires du canton de Saint Martin d’Auxigny ; M. Alfroy, adjoint au maire d’Henrichemont ; les membres du conseil municipal. De Menetou Salon.
La compagnie des sapeurs-pompiers de Menetou encadre les autorités. Puis viennent, groupés derrière le drapeau de l’U.N.C. les anciens combattants et les familles éprouvées, puis les Vétérans de 1870 avec leur drapeau, les Prévoyants de l’avenir avec leur bannière, et enfin la foule dense et silencieuse.
Tout ce défilé vient se masser place de la Mairie et les personnalités officielles se groupent sur une tribune édifiée face au monument.
Tandis que les drapeaux saluent et que retentit la sonnerie « Aux Champs », le voile tricolore enveloppant le monument tombe et alors le « Poilu » apparaît dans un décor féérique et naturel de verdure, tout encadré par les drapeaux des classes combattantes, disposées en arc de cercle. En même temps, la municipalité dépose aux pieds du monument une magnifique couronne de fleurs naturelles. Les anciens combattants y portent avec une grande couronne de perles, une palme artistique de bronze massif ; puis les autres sociétés et les Pupilles apportent aussi des fleurs qui s’amoncellent sur tant d’autres déjà déposées.
Deux mutilés s’avancent au pied du monument et font l’appel des noms des 121 enfants de Manetou Salon morts pour la France.
Un groupe imposant, composé des enfants des écoles et de jeunes gens et jeunes filles du pays, exécute avec un ensemble parfait un chœur à deux voix, sous l’habile direction de M. et Mme Durand, directeur de l’école des garçons.
Après un hymne joué par la Musique, les discours commencent ; le premier, M. Desbarres, maire, prend la parole. Il salue d’abord toutes les autorités qui l’entourent, présente les excuses de MM. Les sénateurs empêchés, et de M. le député Dubois, malade, désolé de ne pouvoir assister ; enfin, de M. le député Laudier, retenu à Bourges. Il remet ensuite le monument aux habitants de la commune et demande qu’il soit toujours respecté. Il retrace en termes émouvants les misères et les souffrances endurées par les poilus dans les tranchées et il exalte la beauté du sacrifice consenti par ceux qui sont morts.
« Et maintenant, ajout-il, faut-il rappeler les rudes étapes du calvaire gravi par nos soldats ? Faut-il parler du séjour aux tranchées ? Des nuits sans sommeil, dans la boue, par la pluie, par le froid ? Inutile, sans doute, car tout cela est d’hier. Il me sera permis cependant de souligner une fois de plus que si, dans cette tâche gigantesque, toutes les classes sociales firent leur devoir, une part prépondérante revient au paysan, ainsi que l’atteste le contingent formidable de ses morts.
Mais cette constatation ne sera pas pour affaiblir son courage, loin de là. Si, pendant la guerre, il a été aux premières places pour défendre la terre de France dont il a le culte, il sera encore pendant la paix d’artisan le plus actif de sa fécondation.
Brave enfants de Ménetou, soldats de la République, dont les noms sont ici gravés en lettre d’or sur le marbre, vous qui avez arrosé de votre jeune sang notre vieille terre de France pour la défendre, je vous salue. »
Cette péroraison, dite avec une réelle émotion, fut coupée de fréquents applaudissements, marquant là l’approbation unanime de l’auditoire.
M. Cormont, président de l’Union des anciens combattants de Menetou vient ensuite, au nom de ses camarades, saluer la mémoire de ceux que nous glorifions aujourd’hui.
Voici les extraits de l’éloquent discours prononcé par M. Cormont :
« … Dans la Nation, la petite commune de Menetou Salon, est une de celles qui furent le plus éprouvées. La longue liste des noms qui sont gravés sur ce monument nous rappellera, à nous, à nos enfants, et à ceux que viendront après, que 121 enfants de Menetou ,de toutes conditions, de tout âge, de tout parti et de toute profession, ont fait le sublime sacrifice de leur vie pour le même idéal. Frère d’un officier tombé à la tête de la compagnie qu’il commandait, frère aussi d’un prêtre mort au champ d’honneur comme sergent mitrailleur, combattant moi-même, je m’autorise de ces titres, pour, au nom des anciens combattants de Menetou, rendre le plus fraternel hommage et présenter l’expression de notre plus grande admiration à la mémoire de ces 121 camarades, tous sans exception, morts glorieusement pour la France.
Il faut, pour la sécurité pleine de notre triomphe, rester à l’école suggestive de nos Morts. Ils nous disent que si, pour nos querelles égoïstes nous ne demeurions pas coude à coude comme nous étions au front et comme ils sont serrés dans leurs tombes, et que si, pour nos petits intérêts, nous désunissions nos mains jointes, leur sacrifice à la Patrie, qui nous a tiré des abîmes, aurait été vain…
Ce n’est, Messieurs, pour la France, ni l’heure de rire, ni l’heure de s’attarder aux larmes ; mais l’heure, à l’exemple de nos héros, d’être unis, d’être forts, d’être nombreux, d’être vigilants, d’être laborieux, c’est à dire de combattre toujours pour assurer définitivement et sûrement, à nos enfants la paix que nous avons voulues, la pais que nous voulons, la paix juste et loyale pour laquelle nos 121 camarades de Menetou sont morts, dans une auréole de Gloire immortelle. »
M. le commandant Hanguillard apporte aux braves de Menetou Salon morts au champ d’honneur le salut de l’armée.
M. Valude, dans une improvisation superbe, compare à celle qui domine le Panthéon l’inscription qui subsiste depuis 1920 au fronton de la Mairie ; « A tous ses braves poilus, la commune de Menetou Salon reconnaissante ».
Il félicite la municipalité de l’honneur qu’elle a su rendre dès le lendemain de la guerre, à ceux dont ce monument perpétuera les noms.
M. Plaisant dut avec émotion combien l’exemple de nos héros doit être a tous profitable et demande à chacun de travailler à l’achèvement de l’œuvre qu’ils ont amorcée et qui leur a coûté la vie : à la grandeur et à la destinée de la République.
M. Giraud, conseiller de préfecture, présente les excuses et les regrets de M. le Préfet du Cher, qu’il représente, et salue au nom du gouvernement les nombreux enfants de Menetou dont les noms sont inscrits dans le marbre. Il souhaite que leurs sacrifices surhumains portent tous leurs fruits et il exprime que c’est pour y parvenir que l’occupation de la Rurh a été décidée.
Debout, l’assistance écoute la « Marseillaise » et aussitôt après, M. Giraud remet la médaille de la Famille française à douze mères de familles nombreuses. Puis le lieutenant Jossent et le sergent Villequenault, de la compagnie des sapeurs-pompiers de Menetou, sont récompensés de leurs 27 années de service par la remise qui leur est faite de la médaille d’honneur des sapeurs-pompiers.
La pluie, qui commence à tomber, disperse un peu vite la foule encore toute émue par cette imposante manifestation, dont il convient de souligner la parfaite organisation.
Un goûter, présidé par les autorités, est servi aux pupilles de la Nation dans la salle de la mairie et c’est alors que toutes les notabilités présentes signent un procès verbal d’inauguration écrit sur parchemin, qui sera scellé dans le monument.
Cette journée, toute à la glorification de nos morts, a revêtu d’un bout à l’autre le caractère intime et recueilli qu’il convenait. Elle s’est terminée dans le plus grand calme, les réjouissances et les bals ayant été interdits. Rien ne pouvait mieux marquer combien est sensible et durable encore au coeur de tous le souvenir douloureux des morts de la guerre.
Source: Le Journal du Cher du 1er juin 1923. Transcription Monumentsducher1418