Inauguration...
Hier dimanche 30 juillet, a eu lieu à Aubigny, l’inauguration du Monument élevé place Chazereau, à la mémoire des Enfants d’Aubigny, Morts pour la France.
Le matin, à 10 heures, un service religieux réunissait en la belle église d’Aubigny, les autorités civiles et militaire, la Musique, la compagnie des Sapeurs-Pompiers, les diverses Sociétés, ainsi qu’une nombreuse assistance, que l église pourtant spacieuse ne pouvait contenir. Ceux qui n’avaient pu prendre place dans l’église, s’étaient massés devant les portes qui étaient grandes ouverts. Plusieurs chanteurs et chanteuses de talent se sont fait entendre. A la fin de l’office, M. Guitard, curé doyen, après avoir remercié les Autorités et l’Assistance d’être venus en aussi grand nombre, a retracé dans un sermon clair et précis, les vertus de nos soldats qui ont versé leur sang pour la défense de nos foyers. Puis a eu lieu la bénédiction du Monument. Une superbe couronne portée par les jeunes filles de l’Ecole libre habillées en costumes d’Alsaciennes et de Lorraine, produisait un effet des plus gracieux.
Ensuite le cortège officiel s’est rendu à la gare à midi, musique en tête, pour aller recevoir les invités arrivant par le train, d’où ils se sont rendus à l’Hôtel de la Chaumière, où était servi un déjeuner de 40 couverts. Assistaient à ce banquet : M. le Sous-Préfet de Sancerre, M. le lieu.-colonel d’Oullenbourg, MM. Mauger et Pajot, sénateur ; Valude Plaisant et Dubois, députés, le marquis de Voguë, Cap, Halaire, conseillers généraux, Cateyssen et Rat, conseillers d’arrondissement, Ruelli, maire de Ménétrol, ainsi que la Municipalité d’Aubigny.
Puis à 3 heures, le cortège s’est formé à nouveau, place du Château, dans l’ordre suivant : Sapeurs-Pompiers, Musique, Enfants des Ecoles publiques et libre, l’Albinienne, les Autorités, les Fonctionnaires, les Combattants de 1870-71, les Mutilés, les Combattants de 1914, la société de Secours-Mutuels, les Albiniens de Paris, la Croix-Rouge, la Mutuelle dotale, pour se rendre au cimetière ou des gerbes de fleurs portées pas les Enfants des Ecoles, ont été déposées sur les tombes des soldats ramenés du front, ainsi que sur celle de ceux qui sont morts dans les hôpitaux pendant la guerre.
Chaque Société a ensuite déposé une gerbe de fleurs, sur le Monument de 1870 et M. Mainbourg, Président des Combattants de 1870 a prononcé un émouvant discours om il a exposé les phrases des deux guerres, 1870 et 1914.
Toujours dans le même ordre, le cortège sort alors du cimetière pour se rendre au Monument pour l’inauguration officielle. Là, chaque groupement a pris la place qui lui était assignée d’avance. Ensuite on a procédé à l’enlèvement de ka draperie tricolore, qui voilait le Monument et la série des discours a commencé par M. Dusapt, maire ; M. Mérigeon, au nom de la Société le Poilu ; M. le marquis de Voguë ; MM. Valude Dubois et Plaisant députés ; M. le lt-colonel d’Oulenbourg, représentant le général commandant la 8e région ; M. Dissard, sous-préfet et M. Mauger, sénateur.
Après la série des discours qui ont été tous très applaudis, les petites filles de l’Ecole communale ont chanté un chant patriotique, avec un ensemble parfait, la Musique a joué la Marseillaise et la cérémonie a pris fin à 5 heures du soir.
Malgré l’affluence considérable, tout s’est déroulé dans un ordre parfait.
Nous publions ci-après, les discours de M. Marcel Plaisant ; et de M. le marquis de Voguë
Discours de M. Marcel Plaisant.
Député du Cher.
Mesdames,
Monsieur le Maire,
Messieurs,
Le culte que nous devons rendre aux enfants tombés pour la Patrie, loin d’être affaibli par sa répétition, marquerait plutôt une sincérité toujours plus ardente, à mesure que le temps nous permet de mieux apprécier la grandeur de leur œuvre, et la somme d’énergies morale nécessaire pour conjurer l’adversité de la fortune dans la guerre et dans la paix.
Les glorieux fils d’Aubigny sur Nère ont accompli le suprême sacrifice en laissant éclater cette vertu qui forme le ressort dans un état populaire, et qui a donné à la République l’auréole de la Victoire. Comme leurs noms suffisent à évoquer ces souvenirs, ainsi la mémoire des hommes se plaira à rappeler les traits sublimes de courage, d’abnégation ou d’audace, qui ont été prodigués pendant une lutte abominable de quatre années qui a désolé le cœur des mères, et la terre nourricière souillée par la feu et par le sang.
Mais quelle que soit la noblesse des qualités qu’ils ont illustrées par leur trépas, si brillante que demeure leur image devant la postérité, les soldats que nous célébrons aujourd’hui n’ont pas déployé une force morale plus puissante, que leur étroite concorde pendant cette longue épreuve, que leur patience opiniâtre en dépit des coups si funestes que le sort des armes infligeait en vain à leur inébranlable fermeté.
Comment dénier qu’aux heures sombres, lorsque le destin semble vouloir nous détourner de la véritable voie vers une forêt obscure, l’attitude de nos camarades de combat reste, pour nous, une grande leçon d’union. L’oubli des querelles stériles, le concert de toutes les facultés physique et morales dans l’action, enfin, au-dessus des origines qui divisent et des conditions sociales qui donnent l’éphémère apparence de l’inégalité, le rapprochement des âmes en vue une œuvre féconde, tels sont les préceptes de haute sagesse que nous ont livrés ces soldats imberbes et que nous devons recueillir et appliquer pour rendre à la France, les mouvement de l’intensité d’une vie qu’ils ont assurée par leur mort.
L’admirable patience qu’ont montrée ces braves dans les angoisses du combat et dans la misère des tranchées. Doit également nous servir de règle de conduite pour garder notre sang-froid devant les provocations de l’Allemagne sui répudie les engagements solennellement contractés, et qui se refuse aux mesures de sécurité nécessaire à la conservation du gage qui garantira le recouvrement de notre créance.
Que si certains osent parler d’une part quelconque de responsabilité qui incomberait à la France dans l’éclosion de la guerre, il faut y voir non seulement une injure faite à la vérité et à la conscience internationale des peuples qui sont accourus sous nos drapeaux pour la défense de la Liberté, mais encore la preuve et exploitée par l’empire pour se dérober aux obligations présentes, en essayant d’égarer les alliés sur leur devoir d’assistance et de concours.
Nous reconnaissons là les coutumes de notre ennemi.
Si nous voulons et si nous aimons passionnément la paix, l’allemand a voulu, a toujours cherché et désiré la guerre, M. le Président du Conseil recommandait dernièrement la lecture des commentaires du César à quelques-uns de bis alliés et à une petite poignée de nos compatriotes. Il est permis d’ajouter que la méditation de la Germanie de Tacite ne serait pas moins profitable.
Si la cité ou sont nés ces Germains, nous dit l’historien, languit dans la torpeur de la tranquillité et d’une trop longue pais, la plupart des nobles adolescents gagnent de leur plein gré les pays qui font la guerre parce que le repos est odieux à cette race, parce qu’ils ne peuvent tenir un grand train que par les œuvres de la guerre et de la violence. Ils exigent de la libéralité de leur prince ce fameux cheval d’armes et cette framée sanglante et victorieuse. Des festins plantureux encore que grossiers leur servent de solde. La matière de leur munificence est acquise par la guerre et par le pillage. Tu leur persuaderas moins facilement de labourer la terre et d’espérer la moisson que de provoquer l’ennemi et de mériter des blessures. Paresseux et bien pire, inerte et propre à rien est, à leur yeux, celui qui acquiert par la sueur ce qu’il peur se procurer par le sang. »
C’est contre la même race belliqueuse et sanguinaire que les combattants de la citée Albinoise ont eu à lutter jusqu’à la victoire et jusqu’au triomphe. Le monument que vous avez élevé à ceux qui sont tombés, glorifie les noms des héros par une inscription, mais révèle aussi la pensée qui vous anima en rappelant le sacrifice de nos concitoyens.
Le soldat sculpté sur cette pierre qui s’offre aux regards du passant, à la rencontre de deux grandes voies publiques, représente le défenseur.
Cet homme n’a pas été l’instrument d’une guerre.
Cet homme a été la victime de la défense nationale dressé dans on plus magnifique élan pour protéger les femmes, les vieillards, les enfants et le sol natal contre une injuste agression.
Inspiré par ce sentiment, je m’incline respectueusement devant ces morts illustres qui ont restitué la patrie dans l’intégrité de son territoire, qui ont sauvé, contre les barbares le patrimoine moral de l’humanité en couronnant la République de lauriers immortels.
Discours de M. de Voguë
Devant ce monument qui atteste de la dévotion de nos cœurs fidèles, je viens affirmer la solidarité de tout le canton d’Aubigny dans le culte de ses morts.
O les tragiques souvenirs que cette pierre évoque ! Il u a huit ans, et presque à pareil jour, c’était la récolte. LA France laborieuse et pacifique confiante, trop confiante, hélas ! dans la sécurité qu’imaginait la bonne conscience vaquait aux travaux familiers ; les permissions de moissons avaient disséminé dans le pays la moitié de nos soldats ; les chefs du gouvernement étaient allés rendre aux souverains les pays du Nord les visite amicales qu’ils avaient faite à la France et leur affirmer son désir de paix.
Et soudain, le terrifiant coup de foudre dans le ciel serein : la mobilisation : la guerre, nul de nous ne pensait ! Or pendant que nous nous bercions d’illusions généreuses, les nations de proie ourdissaient dans l’ombre la trame par laquelle elles pensaient nous étreindre et nous asservir. La vérité, longtemps contenue, éclate peu à peu. L’un après l’autre, les auteurs de la machination, soit par soif de réclame, livrent au public leurs secrets. Nous savons aujourd’hui que, dès 1909, avait été réglé, avec une minutieuse précision, le plan infâme que nous avons vu se dérouler en 1914, et dont le premier acte était l’invasion de la Serbie. La pièce se serait jouée plus tôt si l’Italie, liée par un pacte défensif, n’avait pas refusé de se prêter à une agression injustifiée. L’ambition l’emportant sur la prudence, nos ennemis entrèrent en scène tout à coup, pendant que notre armée était dispersée, pendant que nos chefs étaient au loin, par cette attaque brusquée qui constituait le dogme suprême de leur impudence religion de la force.
Le dénouement ne fut cependant pas celui qu’ils avaient prévu : c’est qu’ils trouvèrent devant eux un peuple chez qui le courage ardent et la volonté tenace sont des vertus héréditaires, et qui avait rallié autour de lui les nations, soulevées pour la défense du droit des gens.
Mais cela c’est de l’histoire. Aujourd’hui, c’est une pensée plus intime qui nous rassemble autour de ce monument.
A l’appel de la Patrie en danger, nous les avons vus partir, ceux de chez nous, avec cette résolution calme, avec cette bonne humeur qui peignaient leurs âmes droite. Ce furent d’abord les permissionnaires de la veille, puis les réservistes des classes plus anciennes, les territoriaux ; puis, enfin, pours combler les vides creusés par la guerre, les recrues de cinq nouvelles classes, dont quelques-unes n’étaient que des enfants au début de la tourmente, dont plusieurs allaient rejoindre leurs pères dans les dangers des combats.
Dans ces phalanges que notre canton a fournies pour la défense du pays, combien sont-ils, dont les corps jonchent la ligne sanglante où se brasa la rue des agresseurs ? C’est à ceux-là que va notre pensée, devant cette pierre qui porte la trop longue liste de leurs noms. Ceux qui, plus heureux, ont repris leur place au milieu de nous et dont l’élan fut égal au leur, comprendront qu’en ce jour notre hommage s’adresse surtout aux morts, ce n’est pas porter atteinte à la reconnaissance que nous avons pour les survivants.
Et en pensant à nos morts, nous pensons aussi à ceux qui les pleurent : à ces épouses, à ces enfants , à ces parents, associés à leur sacrifice, et dont le deuil est le nôtre. Avec eux, nous avons connu l’amertume des départs, la joie toujours incomplète des lettres du front ; nous avons éprouvé l’angoisse des heures lourdes, quand, dans le calme des nuits étoilées, de lointains grondements venaient jusqu’à nous, faisant passer devant nos yeux l’image horrible des dangers où vivaient les chers absents. Et lorsqu’une nouvelle affreuse, ou un manque de nouvelles, plus affreux encore, faisaient de ces angoisses une réalité douloureuse, il semblait que nous fussions tous atteints, et cette union des cœurs rendait peut-être plus supportable la peine immense, la peine sans nom de ceux qui étaient frappés.
Gloire de nos soldats, fierté de notre patriotisme, douleur des cœurs brisés et des foyers en deuil : c’est tout cela que ce monument dira à notre pieux souvenir, à la vénération des hommes qui passeront ici dans la suite des temps.
Laissons-nous imprégner de sa muette éloquence. Dans le recueillement de nos cœurs unis, écoutons la voix toute proche de nos morts ; abandonnons-nous un instant à la poignante et douce illusion de leur présence, devant l’image qui els rappelle à nos yeux émus. N’entendez vous pas ce qu’ils disent à nos âmes : « Nous avons donné notre jeunesse pour vous, pour la sécurité de nos foyers, pour n’avenir de notre France ; nous comptons sur vous pour que notre sacrifice n’ait pas été fait en vain !
Nous répondrons, n’est-ce pas, dans un élan de reconnaissance et d’amour, la main dans la main, les cœurs contre les cœurs ; nous répondrons : ‘Oui, cher disparu, comptez sur nous. Vous nous avez sacrifié votre vie, nous vous consacrons la nôtre ; et dans ces lieux que vous aimiez, nous resterons unis à jamais dans le culte de votre impérissable souvenir ! »
Source: La dépêche du Berry des 31 juillet et 1er août 1922. Transcription loïc Vasseur