M. le marquis de Vogüé, au nom du canton, dont il est le représentant au conseil général, rend ce bel hommage aux morts dont on évoque le souvenir en ce jour :
Devant ce monument qui atteste la dévotion de nos cœurs fidèles, je viens affirmer la solidarité de tout le canton d’Aubigny dans le culte de ses morts.
O les tragiques souvenirs que cette pierre évoque ! Il ya dix ans, c’était, comme aujourd’hui et presque à pareil jour, le temps de la récolte. La France laborieuse et pacifique, confiante, trop confiante, hélas ! dans la sécurité qu’il imaginait sa bonne conscience, vaquait aux travaux familiers ; les permissions de moisson avaient disséminé dans le pays la moitié de nos soldats, les chefs du Gouvernement étaient allés rendre aux souverains des pays du nord les visites amicales qu’ils avaient faites à la France, et leur affirmer son désir de paix.
Et soudain le terrifiant coup de foudre dans ce ciel serein ; la mobilisation : la guerre ! La guerre, fléau atroce, auquel, certes, nul de nous ne pensait ! Or, pendant que nous nous bercions d’illusions généreuses, les nations de proies ourdissaient dans l’ombre a trame par laquelle elles pensaient nous atteindre et nous asservir. La vérité, longtemps contenue, éclate peu à peu. L’un après l’autre, les auteurs de la machination, soit pour décharger leur conscience, soit par soif de réclame, livrent au public leurs secrets.
Nous savons aujourd’hui que dès 1909 avait été réglé, avec la plus minutieuse précision, le plan infâme que nous avons vu se dérouler en 1914, et dont le premier acte était l’invasion de la Serbie. La pièce se serait jouer plus tôt, si l’Italie, liée pas un pacte défensif, n’avait pas refusé de se prêter à une agression injustifiée. L’ambition l’emportant sur la prudence, nos ennemis entrèrent en scène tout à coup, pendant que notre armée était dispersée, pendant que nos chefs « étaient un loin, par cette attaque brusquée qui continuait la dogne suprême de leur impudente religion de la force
Le déroulement ne fut cependant pas celui qu’ils avaient prévu ; c’est qu’ils trouvèrent devant eux un peuple chez qui le courage ardent et la volonté tenace sont des vertus héréditaire, et qui avait rallié autour de lui les nations, soulevées pour la défense du droit des gens.
Mais cela, c’est de l’histoire, aujourd’hui, c’est une pensée plus intime qui nous rassemble autour de ce monument.
A l’appel de la patrie en danger, nous les avons vus partir, ceux de chez nous, avec cette résolution calme, avec cette bonne humeur qui peignaient leurs âmes droites. Ce furent d’abord les permissionnaires de la veille, puis les réservistes des classes plus anciennes, les territoriaux, puis enfin, pour combler les vides creusés par la guerre, les recrues de cinq nouvelles classes. Dont quelques uns n’étaient que des enfants au début de la tourmente, dans les dangers des combats.
Dans ces phalanges que notre canton fournies pour la défense du Pays, combien sont-ils qui n’a pas vu revenir : Combien sont-il dont les corps jonchent les lignes sanglantes où se brisa la ruée des agresseurs : c’est à ceux là que va notre pensée devant cette pierre qui porte la trop longue liste de leurs noms. Ceux qui, plus heureux, ont repris leur place au milieu de nous et dont l’élan fut égale au leur, comprendront qu’en ce jour, notre hommage s’adresse surtout aux morts ; ce n’est pas porter atteinte à la reconnaissance que nous avons pour les survivants.
Et en pendant à nos morts, nous pensons aussi à ceux qui les pleurent ; à ces épouses, à ces enfants, à ces parents, associés à leur sacrifices, et dont le deuil est le nôtre. Avec eux, nous avons connu l’amertume des départs, la joie toujours incomplète des lettres du front : nous avons éprouvé l’angoisse des heures lourdes, quand, dans le calme des nuits étoilées, de lointains grondements venaient jusqu’à nous faisant passer devant nos yeux l’image horrible des dangers où vivaient les chers absents. Et lorsqu’une nouvelle affreuse ou un manque de nouvelles plus affreux encore, faisaient de ces angoisses une réalité douloureuse, il semblait que nous fassions tous atteints, et cette union des cœurs rendait peut-être plus supportable la peine immense, la peine sans nom de ceux qui étaient frappée.
Gloire à nos soldats, fierté de notre patriotisme, douleur des cœurs brisés et des foyers en deuil : c’est tout cela que ce monument dira à notre pieux souvenir, à la vénération des hommes qui passeront ici dans la suite des temps.
Laissons-nous imprégner de sa muette éloquence. Dans le recueillement de nos cœurs morts. Ecoutons la vois toute proche de nos morts : abandonnons nous un instant à la poignante et douce illusion de leur présence, devant l’image qui les rappelle à nos yeux émus. N’entendez vous pas ce qu’ils disent à nos âmes ; « nous avons donné notre jeunesse pour vous, pour la sécurité de vos foyers, pour l’avenir de notre France ; nous comptons sur vous pour que notre sacrifice n’ait pas été fait en vain !
Nous répondrons, n’est-ce pas, dans un élan de reconnaissance et d’amour, la main dans la main, les cœurs contre les cœurs, nous répondrons ; « Oui, chers disparus, comptez sur nous. Vous nous avez sacrifié votre vie : nous vous consacrons la nôtre : et dans ces lieux que vous aimiez, cous resterons unis à jamais. Dans le culte de votre impérissable souvenir ! »
Source: La semaine berrichonne du 5 août 1922. Transcription monumentducher1418